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Poutine, deux ans après, quel bilan ?

par Laurent Rucker, analyste et chargé de secteur au CEDUCEE

 

Au terme de ses premières deux années au Kremlin, Vladimir Poutine a montré qu'il apprend vite. Homme des services de sécurité, il n'avait jamais exercé un mandat ou occupé une fonction gouvernementale le mettant en relation avec l'opinion publique. Il se révèle assez doué pour l'exercice du pouvoir et l’usage des médias. Pour autant, le poids des réalités subsiste.

Biographie de l'auteur en bas de page

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  Le bilan des deux premières années au pouvoir de Vladimir Poutine est assez ambivalent.

Si l'on essaie de voir les choses de manière positive, il manifeste une volonté de remettre de l'ordre dans la maison. La Russie en avait besoin. Cependant, il ne dispose pas des instruments nécessaires pour aller jusqu'au bout de ce projet.

Intentions

Exemple : la question de l'autorité de l'Etat dans la Russie contemporaine. V. Poutine a sorti les " oligarques " du champ politique et instauré une sorte de partage des rôles. Il a également manifesté la volonté de réformer les relations entre le centre et les régions. Il y en avait besoin. Il a également voulu normaliser le champ politique, en essayant de construire - du moins en apparence - un système politique qui ressemble plus ou moins au système occidental. En rupture avec l'époque de B. Eltsine, Vladimir Poutine a encore cherché à redonner à la Russie une place sur la scène internationale. Il développe une politique étrangère très active. Il voyage beaucoup et prend des initiatives, notamment en ce qui concerne le dialogue avec les Etats-Unis, désormais fondé sur des bases différentes de l'époque Eltsine.

Le poids des héritages

Cela étant, il me semble que son pouvoir reste limité alors que ses méthodes prêtent à la discussion sinon à la contestation.

Premièrement, son pouvoir est limité parce qu'il ne dispose pas des moyens pour mettre au pas tous ceux qui ont participé au pillage de la Russie depuis dix ans. Il me semble symptomatique que les oligarques aient été renvoyés au champ économique mais n'aient pas pour autant été écartés, sauf exception. La plupart occupent toujours les mêmes positions dominantes dans l'économie.

Deuxièmement, Vladimir Poutine a poursuivi avec la classe politique russe un mode de relation proche de celui mis en œuvre par Boris Eltsine. Le schéma reste le même. Il n'y a pas une vie politique au sens occidental. L'opposition n'est pas réelle et un véritable débat fait défaut.

L’instrumentalisation de la justice pour se débarrasser d’adversaires politiques demeure une pratique courante. En outre, Vladimir Poutine s'appuie très largement sur des hommes qui viennent des services de sécurité. Alors que chacun sait qu'ils n'ont pas nécessairement une conception très démocratique des pratiques politiques. Comme le montre le conflit en Tchétchénie, la violence reste un mode privilégié de résolution des conflits.

Vladimir Poutine, 2005. Crédits: C. Millet

 

Doué pour le pouvoir

Au terme de ces deux années, ce qui frappe le plus c'est la rapidité avec laquelle Vladimir Poutine apprend. Homme des services de sécurité, il n'avait jamais exercé un mandat ou occupé une fonction gouvernementale le mettant en relation avec l'opinion publique. Il se révèle assez doué pour l'exercice du pouvoir et l’usage des médias. De toute évidence, Vladimir Poutine avait été choisi par l'entourage de Boris Eltsine pour lui succéder. Il a été créé de toutes pièces, mais il cherche progressivement à s'émanciper de ceux qui l'ont fait tsar. Scénario classique, auquel peut-être ceux qui l'ont choisi ne pensaient pas

De grands chantiers ont été ouverts, avec raison : la réforme de la Justice, de la Défense, du système politique, des relations entre le centre et les régions … Cela étant, il semble y avoir pour l'instant un fossé entre les intentions et la réalité. Dans la Russie d'aujourd'hui, on ne peut plus décider autoritairement par le haut de la " dictature de la Loi ". Les capacités des acteurs politiques et sociaux à faire prévaloir leur point de vue sont réelles. Il faut d’ailleurs s’en réjouir. A défaut de faire accepter leur avis, ces acteurs possèdent des capacités considérables de résistance active et passive ou de nuisance.

La fin de la chaise vide

En matière de politique étrangère, V. Poutine a compris qu'il fallait redonner à la politique étrangère de la Russie un contenu et une direction. Il a donc mis fin à la politique de la chaise vide, aussi bien avec les Etats-Unis que l'OTAN ou l'Union européenne. Avec des moyens encore limités aujourd'hui, la Russie est redevenue active. Elle avance ses propres propositions. Par exemple, toute une série de dossiers en suspend depuis plusieurs années avec l'Union européenne - comme la question de Kaliningrad - redeviennent d'actualité, parce que la Russie formule ses positions. Elle essaie de ne plus subir celles des autres acteurs mais de définir elle-même le cadre à l'intérieur duquel elle entend négocier. Ce qui marque un changement considérable, susceptible de redonner des marges de manœuvres à la Russie.

Voir une carte de Kaliningrad

L'après 11 septembre 2001

V. Poutine a très vite saisi les avantages qu'il pouvait tirer des attentats du 11 septembre 2001. D'abord pour avoir les mains libres en Tchétchénie, ensuite pour apparaître comme partie prenante du monde "civilisé", engagé dans une lutte contre le terrorisme, donc comme un partenaire. Mais la Russie compte bien récolter les fruits de ce soutien, notamment sur certains dossiers comme le NMD, l’élargissement de l’OTAN et être pleinement associée aux discussions sur l’avenir de l’Afghanistan. D’autre part, elle a accepté la présence américaine en Asie centrale à condition que celle-ci ne se fasse au détriment de ses intérêts. L’Asie centrale devra demeurer dans la zone d’influence russe.

Laurent Rucker Ecrire à l'auteur : laurentrucker@yahoo.fr

Entretien avec Pierre Verluise

NDLR: Lire également la série mise en ligne fin 2002-début 2003: Géopolitique de la Russie, Vladimir Poutine, an III.

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  Date de la mise en ligne : avril 2002
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Biographie de Laurent Rucker, analyste et chargé de secteur au CEDUCEE

   
    Docteur en sociologie politique. Thèse de doctorat intitulée " L’URSS et le conflit israélo-arabe 1941-1956 ", soutenue en novembre 1999 à l’université Paris X sous la direction du professeur Marc Lazar.

Depuis 1998 : Chargé d'études au Centre d'études et de documentation sur la CEI et l'Europe de l'Est (CEDUCEE), membre de la rédaction de la revue mensuelle Le Courrier des pays de l'Est, éd. La documentation Française, 29 quai Voltaire, Paris 75007, France.

Depuis 1996 : Maître de conférences à l'Institut d'études politiques de Paris (conférences de science politique, de sociologie des relations internationales et d’historiographie du communisme).

Depuis 1995 : Chercheur associé au Groupe d'Étude et d'Observation de la Démocratie (GEODE), Université Paris X.

1991-1995 : Allocataire de recherche moniteur puis attaché temporaire d’enseignement et de recherche en sociologie politique à l’Université Paris X.

Principales publications

Staline, Israël et les Juifs, Presses universitaires de France, 2001, 384p, (traduction en tchèque à paraître).

Stéphane Courtois, Laurent Rucker (sous la direction de), " La politique extérieure de l'URSS ", Communisme, n°49-50, 1997, 216p.

William Karel, Laurent Rucker, Israël-Palestine. Une terre deux fois promise, Paris, Editions du Rocher, 1998, 262p.

" The Soviet Union and the Suez Crisis ", in David Tal (ed.), The 1956 War : Collusion and Rivalry in the Middle East, Londres, Frank Cass, 2001, pp. 65-93.

" Russie. Une nouvelle dynamique ? " (avec Marie-Agnès Crosnier), Le courrier des pays de l’Est, n°1010, 2000, pp. 105-124.

" L'URSS et la création de l'Etat d'Israël ", Revue d'études palestiniennes, n°23, 2000, pp. 65-85.

" La Russie et l'opération Force alliée. A la recherche de la puissance perdue ", Le courrier des pays de l'Est, n°1001 (nouvelle série), janvier 2000, pp. 32-44.

" L'URSS et la crise de la Suez ", Communisme , n°49-50, 1997, pp. 151-168.

" La Jdanovchtchina : une campagne antisémite ? ", Cahiers de l'Institut d'Histoire du Temps Présent, n° 35, 1996, pp. 83-94.

" Les archives de la politique extérieure soviétique ", Vingtième siècle. Revue d'histoire, n°45, janvier-mars 1995, pp. 139-143.

   
         

 

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