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De l'usage du mot "terroriste",

par Bernard Dorin, Ambassadeur de France

 

La Russie, la Chine et la Turquie utilisent ce mot pour désigner leurs opposants. Dans le domaine des droits de l'homme, il y a pourtant des actes totalement inacceptables. L'honneur de tous est de le dire contre vents et marées. Même si ce n'est pas dans le "politiquement correct" de l'après 11 septembre 2001, il faut dire que la répression reste la répression et que les populations massacrées restent massacrées.

Biographie de l'auteur en bas de page

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Après les attentats du 11 septembre 2001 contre les Etats-Unis, le mot "terroriste" a été abondamment utilisé pour qualifier différents mouvements. Cet usage mérite qu'on s'y arrête, après deux observations préalables.

Premièrement, le terrorisme existe et il est à combattre avec la dernière énergie.

Deuxièmement, je me souviens avoir lu dans la presse de Vichy (1940-1944) que les résistants Français y étaient qualifiés de "terroristes". Pour le gouvernement du maréchal Pétain collaborant avec l'Allemagne nazie d'Hitler, les patriotes français étaient des "terroristes". Après la Libération de la France en 1944-1945, ces "terroristes" sont devenus pour tous des patriotes, mais ils avaient été précédemment qualifiés de cette façon infamante.

Une appellation à évaluer

Je constate donc qu'il faut se méfier de cette appellation de "terroristes", parce que les Etats constitués ont trop tendance à appeler "terroristes" leurs adversaires. Les puissants désignent souvent ainsi les parties de leur population en rébellion larvée ou ouverte contre le pouvoir central.

Après les attentats terroristes du 11 septembre 2001 contre les Etats-Unis, je constate que la Chine comme la Russie en tirent argument pour se rapprocher entre elles et avec les Etats-Unis, se plaçant en quelque sorte sous la bannière étoilée de la "croisade" anti-terroristes. Vous noterez que le mot croisade semble particulièrement mal choisi puisqu'il renvoie maladroitement aux agressions que les croisades chrétiennes ont constituées à l'égard des musulmans au Moyen Age.

Ce ne sont pas pour les beaux yeux du Président des Etats-Unis G.W. Bush que la Chine et la Russie se sont placées sous cette bannière mais simplement parce que cela leur permet de justifier ce qu'elles ont essayé de faire croire depuis des années, à savoir que les peuples que leurs gouvernements essaient de dominer seraient des peuples "terroristes".

Renforcement de la répression en Russie

Pour la Russie, V. Poutine qualifie dans son ensemble le peuple tchétchène de "terroriste". Alors que des organisations non-gouvernementales et des médias critiquaient V. Poutine pour la répression de ce peuple, les attentats du 11 septembre 2001 ont été pain béni pour le Président russe. N'oublions pas, cependant, qu'il y avait voici quelques années 800 000 Tchétchènes en Tchétchènie. En 2002, il en reste moins de la moitié. Sous le coup d'une répression sauvage pratiquée par les forces russes, la majorité a fui dans des républiques voisines, sans parler de ceux qui sont dans des camps d'internement. Il est maintenant très confortable pour V. Poutine de les désigner comme des "terroristes", mais un peuple entier ne peut être ainsi qualifié. Pourtant, il existe des preuves incontestables d'un renforcement de la répression depuis le 11 septembre 2001. Les émissaires du Kremlin ont été rappelés et la répression a été accentuée. Notamment parce que les Russes ont réussi à faire croire au monde que leurs opposants étaient tous des "terroristes".

Les gouvernements occidentaux savent que c'est un mensonge mais ils ne veulent pas que des "peuplades" dont le sort leur est tout à fait indifférent puissent perturber les rapports politiques et économiques qui comptent infiniment plus à leurs yeux.

La Chine des Hans écrase les Tibétains et les Ouïgours

Pour la Chine, les attentats du 11 septembre 2001 permettent maintenant de "justifier" la répression pratiquée depuis longtemps au Tibet, contre les Tibétains et au Xinjiang contre les Ouïgours. La Chine pratique une politique de " subversion ethnique " dans ces régions. A la persécution des valeurs locales, par exemple le bouddhisme tibétain, s'ajoute alors l'implantation volontariste d'une population Han dans ces régions. Ainsi les Hans deviennent plus nombreux que les Tibétains eux-mêmes…au Tibet. C'est déjà le cas dans les plus grandes villes du Tibet, en particulier à Lhassa. Ce sera bientôt le cas au Tibet tout entier et les Tibétains d'origine risquent de devenir une minorité dans leur propre pays.

Or, je pense que la pire des choses pour un peuple c'est de perdre son identité : sa langue, ses coutumes, ses traditions, son histoire. Si un peuple perd ses repères, il disparaît en tant que peuple : soit, il se fond dans la masse des arrivants, considérés généralement à tort comme "supérieurs", soit il est banni à l'intérieur de son propre territoire. Il devient alors misérable et disparaît. Cela s'apparente alors à un génocide pur et simple. Même si le gouvernement ne tue pas les gens par milliers, cela revient au même. En Chine, il y a déjà des subversions ethniques réussies, par exemple les Mandchous. Les Mandchous, qui ne sont pas des Hans, avaient installé au XIX e siècle sur le trône de Pékin une dynastie, mais aujourd'hui il n'y a plus de Mandchous. Dans ce que l'on appelle la Mandchourie vivent aujourd'hui des gens qui viennent de la péninsule chinoise du Shandong qui lui fait face. Autre cas : la Mongolie intérieure, sous autorité chinoise. Les Mongols y sont devenus très minoritaires, environ 25 à 27 %, par rapport aux Hans.

Le même phénomène est en train de se produire sur une échelle encore plus vaste au Xinjiang où les Ouïgours ne sont déjà plus majoritaires dans les principales villes , en particulier Kachgar. Ils sont en voie d'être minorisés, au risque de disparaître à terme. Ce système oppressif sur le plan des nationalités doit être arrêté, sinon le phénomène se poursuivra jusqu'à son terme : la disparition de la minorité en question.

La Turquie réprime les Kurdes

Pour la Turquie, alliée inconditionnelle des Etats-Unis, les attentats du 11 septembre 2001 justifient la répression contre les Kurdes du PKK. Comme ceux là se sont battus sous la bannière du marxisme-léninisme - ce qui fut une erreur fatale - ils ont subi depuis longtemps la répression des Turcs, appuyée par les Etats-Unis. Ces derniers voyaient dans la Turquie le flanc sud de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN), la Norvège étant son flanc Nord. La Turquie était donc un pays capital pour les Etats-Unis, ce qui a contribué à l'isolement complet des Kurdes. Résultat : il reste en 2002 moins de la moitié des Kurdes du Kurdistan de Turquie. Par la répression, plus de la moitié des Kurdes ont été chassés de chez eux. Ils sont partis dans les grandes villes turques, où ils forment un sous-prolétariat, et à l'étranger, notamment en Grèce, Italie, France, Allemagne et Suède. Cette répression a été menée sous la bannière de la lutte contre le "terrorisme". Le pouvoir turc a toujours employé le mot de "terroriste" pour désigner ses opposants. Il faut noter que la répression contre les Kurdes en Irak ou en Iran s'est faite sous le même prétexte.

Voir une carte de la répartition des kurdes au Moyen-Orient

L'usage du mot "terroristes" doit donc s’exercer avec prudence et pertinence. Il faut se méfier des mots et des appellations. Il ne s'agit pas ici de nier le moins du monde l'existence du terrorisme, ni son atrocité, mais il importe d'éviter l'amalgame que certains puissants peuvent faire entre leurs adversaires et les "terroristes".

Une certaine conception de l'honneur

Dans le domaine des droits de l'homme, il y a des actes totalement inacceptables. L'honneur de tous est de le dire contre vents et marées. Même si ce n'est pas actuellement dans le "politiquement correct", je crois qu'il faut dire que la répression reste la répression et que les populations massacrées restent massacrées. Les événements du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis ne retirent pas aux peuples opprimés leur droit à la survie, voire aux droits fondamentaux.

La faiblesse du Conseil de l'Europe à la fin de l'année 2001 au sujet de la répression russe contre les Tchétchènes est navrante. De même que l'on blanchit de l'argent sale, on blanchit maintenant des actions sales. C'est encore plus affreux. Admettre des opérations de répression contre des populations entières, n'est-ce pas atroce ? Il faut continuer à les dénoncer, même si les Princes qui nous gouvernent tous trouvent bon de les absoudre. Ne rien dire revient - et je pèse mes mots - à se faire complices des génocides qui se passent sous nos yeux.

Pour la protection de l'espèce … humaine

Le monde entier se passionne actuellement pour la sauvegarde d'espèces animales menacées comme les koalas ou les pandas… On surveille leur alimentation et leurs amours. Tout cela est magnifique, gentil…touchant mais nous n'en sommes pas là en ce qui concerne les hommes. Nous acceptons leur disparition. Je suis pour la protection de toutes les espèces, y compris l’espèce humaine.

Bernard Dorin, Ambassadeur de France

Entretien avec Pierre Verluise

PS: Avec l'accord de l'auteur et de l'éditeur du diploweb.com, ce texte a été publié le 4 mars 2002 dans le n° 12 de La Quinzaine européenne, p. 10.

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Date de la mise en ligne : mai 2002

 

 

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Biographie de Bernard Dorin, Ambassadeur de France

   

 

 

. 1950 : Diplôme de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris.

. 1953 : Admis à l'Ecole Nationale d'Administration

. 1963 - 1964 : Adjoint au Secrétaire Général du Ministère des Affaires Etrangères.

. 1964 - 1966 : Conseiller Technique - pour les affaires diplomatiques - au cabinet du Ministre de l'Information. Directeur Adjoint du "Service de Liaison Interministériel pour l'Information".

. 1966 - 1967 : Conseiller Technique - pour les affaires diplomatiques - au cabinet du Ministre Délégué chargé de la Recherche Scientifique et des Questions Atomiques et Spatiales.

. 1967 - 1968 : Conseiller Technique - pour les affaires diplomatiques - au cabinet du Ministre de l'Education Nationale, chargé en particulier des relations avec les universités africaines.

. 1968 - 1969 : Conseiller Technique - pour les affaires diplomatiques - au cabinet du Ministre chargé de la Recherche Scientifique et Conseiller technique "officieux" au Cabinet du Ministre de l'Education Nationale.

. 1969 - 1970 : Année sabbatique à l'Université de Harward, au Center for International Affairs.

. 1970 - 1972 : Chargé de mission auprès du Directeur du Personnel du Ministère des Affaires Etrangères.

. 1972 - 1975 : Ambassadeur en Haïti. Plus jeune Ambassadeur du corps diplomatique français.

. 1975 - 1978 : Créateur et chef du Service des Affaires Francophones du Ministère des Affaires Etrangères.

. 1978 - 1981 : Ambassadeur en République d'Afrique du Sud.

. 1981 - 1984 : Directeur d'Amérique au Ministère des Affaires Etrangères (Etats-Unis, Canada et Amérique Latine).

. 1984 - 1987 : Ambassadeur au Brésil.

. 1987 - 1990 : Ambassadeur au Japon.

. 1991 - 1993 : Ambassadeur en Grande-Bretagne.

. 1er janvier 1992 : Elevé à la dignité d'Ambassadeur de France.

. 1993 - 1997 : Conseiller d'Etat en service extraordinaire.

. Juin 2001 : "Appelez-moi Excellence. Un ambassadeur parle", éd. Stanké.

Officier de la Légion d'Honneur.

Grand-Croix de l'Ordre de Victoria (G.C.V.O.)

Membre fondateur de l'Association France-Québec.

Président des Amitiés francophones, 39 Avenue de Saxe, 75007, Paris, France.

   

 

 

 

   

 

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