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Aujourd'hui et demain, quelle Politique étrangère et de sécurité commune ? 

par Pierre Verluise, auteur de "Géopolitique de l'Europe" (éd. Ellipses) et

François Géré, Président de l'Institut Français d'Analyse Stratégique (IFAS)

 

Tout en s’inscrivant dans la continuité des traités communautaires, le projet de traité constitutionnel marque plusieurs évolutions significatives en matière de PESC et de PESD. Cette étude amène à préciser la nature des relations entre l'UE et l'OTAN.

Biographie des auteurs en ligne: Pierre Verluise - François Géré

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Afin d’éviter les malentendus, il importe d’être au clair quant aux marges de manœuvre de la PESC. Après un rappel de la situation dans les traités communautaires effectifs à ce jour, nous considérerons les évolutions contenues dans le projet de traité constitutionnel dont la mise en œuvre pourrait débuter en 2006 en cas de ratification par tous les Etats membres.

 

Dans les traités communautaires

La PESC peut-elle être un outil pour faire de l’Union européenne un pôle indépendant de l’hyper-puissance victorieuse de la Guerre froide : les Etats-Unis ?

A cette interrogation typiquement française, la version consolidée du traité sur l’Union européenne apporte des éléments de réponse sans ambiguïtés[1] . Nous utiliserons la numérotation des articles retenue par ce document de référence. Cette version prend en compte les apports successifs des traités de Maastricht (1992), d’Amsterdam (1997) et de Nice (2001). [2]

Le préambule du traité sur l’Union européenne déclare que les pays membres sont : « Résolus à mettre en œuvre une politique étrangère et de sécurité commune, y compris la définition progressive d’une politique de défense commune, qui pourrait conduire à une défense commune, conformément aux dispositions de l’article 17, renforçant ainsi l’identité de l’Europe et son indépendance afin de promouvoir la paix, la sécurité et le progrès en Europe et dans le monde, […] »

La PESC

Le titre V précise les « Dispositions concernant une politique étrangère et de sécurité commune ».

L’article 11 déclare en son paragraphe 1 : « L’Union définit et met en œuvre une politique étrangère et de sécurité commune couvrant tous les domaines de la politique étrangère et de sécurité, […] ». Puis il énonce une série d’objectifs.

Le paragraphe 2 de ce même article 11 revient indirectement à réduire le champ d’autonomie de chacun des Etats membres. « Les Etats membres appuient activement et sans réserve la politique extérieure et de sécurité de l’Union dans un esprit de loyauté et de solidarité mutuelle. Les Etats membres œuvrent de concert au renforcement et au développement de leur solidarité politique mutuelle. Ils s’abstiennent de toute action contraire aux intérêts de l’Union ou susceptibles de nuire à son efficacité en tant que force de cohésion dans les relations internationales. Le Conseil veille au respect de ces principes. » En 2003, la crise irakienne a pris en défaut cette intention. La division de l’Union européenne est manifeste le 30 janvier 2003 quand les dirigeants de cinq Etats membres signent au côté de trois dirigeants de pays candidats la « Lettre des huit pays d’Europe pour un front uni face à l’Irak», en soutien à la position des Etats-Unis. Il s’agit des pays suivants : Espagne, Portugal, Italie, Grande-Bretagne, Danemark, Hongrie, Pologne et République tchèque. L’Union européenne a été tout simplement dans l’impossibilité de définir une position commune. On est en droit de se demander qu’elle eut été l’attitude du ministre des Affaires étrangères de l’UE si, à l’époque, cette fonction avait existé. Pour autant, ce désaccord sur un dossier grave affectant la stabilité du Moyen-Orient n’empêche pas quelques jours plus tard MM. T. Blair et J. Chirac de se retrouver au Touquet pour un sommet qui contribua à confirmer le rapprochement de Saint-Malo et la poursuite de la construction de l’Europe de la Défense, avec notamment la mise en place de l’Agence européenne de l’armement. Unité en deçà des Balkans, division au-delà.

L’article 16 précise pourtant : « Les Etats membres s’informent mutuellement et se concertent au sein du Conseil sur toute question de politique étrangère présentant un intérêt général, en vue d’assurer que l’influence de l’Union s’exerce de la manière la plus efficace par la convergence de leurs actions. »

L'article 17 ou le principe de réalité

L’article 17, modifié par le traité de Nice, délimite le champ des possibles. Le paragraphe 1 débute ainsi : « La politique étrangère et de sécurité commune inclut l’ensemble des questions relatives à la sécurité de l’Union, y compris la définition progressive d’une politique de défense commune, qui pourrait conduire à une défense commune, si le Conseil en décide ainsi. Il recommande, dans ce cas, aux Etats membres d’adopter une décision dans ce sens conformément à leurs exigences constitutionnelles respectives. »

Puis ce même paragraphe pose des bornes : « La politique de l’Union au sens du présent article n’affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains Etats membres, elle respecte les obligations découlant du traité de l’Atlantique Nord pour certains Etats membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et elle est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre. » Autrement dit, la PESC ne peut en aucun cas être « incompatible » avec les intérêts de l’OTAN.

La référence explicite faite à l'OTAN dans le traité de l’UE consolidé donne-t-elle aux Etats membres de l’UE et de l’OTAN un pouvoir réel au sein de cette organisation ? Fort de son expérience de Directeur d'Amérique au ministère des Affaires étrangères (1981-1984), l'ambassadeur de France Bernard Dorin répond sans ambiguïté. "En ce qui concerne l'OTAN, il n'y a qu'un pays qui décide : les Etats-Unis. La France n'étant que d'un orteil dans cette organisation, elle n'y a pratiquement aucune influence".[3]

Un exemple: lors de l'intervention militaire de l'OTAN contre la Serbie, en 1999, la France ne dispose pas d'un seul poste de commandement majeur … et les pays de l'Union européenne s'affichent à la remorque de Washington. De plus, les forces européennes étaient rarement inter opérables avec celles des Etats-Unis, ce qui rendait impraticables les missions conjointes. C’est bien pourquoi la France a recommencé à partir de 2001 à s’insérer non dans les commandements intégrés de l’OTAN mais à donner à ses forces les standards permettant, en cas de décision politique d’engagement, de disposer des moyens de commandements insérables dans l’OTAN. Tel est le cas en Bosnie pour la relève européenne de l’OTAN ainsi que pour l’ISAF en Afghanistan aujourd’hui.

Entre le poids de l'héritage et la nouvelle fluidité, qui l'emportera ?

Bien que postérieurs à la fin de la Guerre froide, les traités de Maastricht, Amsterdam et Nice inscrivent donc la PESC à l’intérieur du cadre de l’OTAN. Comment ne pas voir là un héritage de la tension Est-Ouest ?

Dès lors, comment la PESC pourrait-elle devenir un instrument pour faire de l’Union européenne un pôle indépendant des Etats-Unis ? En fait, cette rapide étude des textes communautaires ratifiés par tous les Etats membres – dont la France – montre que la question typiquement française posée en introduction n’a plus lieu d’être.

Il importe, cependant, de prendre conscience des marges de manœuvre ouvertes par la fin de la Guerre froide. Après avoir été longtemps verrouillée, la situation est devenue plus fluide. Parce que les enjeux ne sont plus les mêmes. Les Britanniques en jouent depuis la fin des années 1990 pour peser de plus en plus au sein de l’OTAN. Les armées françaises espèrent y peser davantage à l’avenir.

P. Verluise a publié "Géopolitique de l'Europe.

L'Union européenne élargie a-t-elle les moyens de la puissance ?", éd. Ellipses, 2005

Dans le projet de traité constitutionnel

Considérons les « Dispositions particulières relatives à la politique de sécurité et de défense commune », soit l’article I-41. Ce projet semble à la fois s’inscrire dans la continuité des précédents traités communautaires et marquer une évolution dans la relation à l’OTAN, notamment à la dernière phrase de son paragraphe 7.

Le paragraphe 1 précise : « La politique de sécurité et de défense commune fait partie intégrante de la politique étrangère et de sécurité commune. Elle assure à l’Union une capacité opérationnelle s’appuyant sur des moyens civils et militaires. L’Union peut y avoir recours dans des missions en dehors de l’Union afin d’assurer le maintien de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale conformément aux principes de la charte des Nations unies. L’exécution des tâches repose sur les capacités fournies par les Etats membres. »

N'importe quel Etat membre dispose d'un droit de veto

Le paragraphe 2 explicite les conditions de définition d’une politique de défense commune puis la relation à l’OTAN. « La politique de sécurité et de défense commune inclut la définition progressive d’une politique défense commune de l’Union. Elle conduira à une défense commune, dès lors que le Conseil européen, statuant à l’unanimité, en aura décidé ainsi. » Autrement dit, n’importe quel Etat membre de l’UE dispose d’un droit de veto quant à la mise en œuvre ultérieure d’une défense commune.

En l’attente, l’article 17 du traité sur l’Union européenne est repris dans la suite de ce paragraphe 2  de l’article I-41 du projet de traité constitutionnel. Qu’on en juge : « La politique de l’Union au sens du présent article n’affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains Etats membres, elle respecte les obligations découlant du traité de l’Atlantique Nord pour certains Etats membres qui considèrent que  leur défense commune est réalisée dans le cadre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord et elle est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre. » Ainsi, la PESC ne pourrait pas davantage être « incompatible » avec les intérêts de l’OTAN que dans les traités communautaires actuellement effectifs. Pour mémoire, sauf Malte et Chypre, tous les Etats de l’UE25 sont membres de l’OTAN ou du Partenariat pour la Paix de l’OTAN (Irlande, Suède, Finlande, Autriche) [4].

Le paragraphe 4 précise notamment le mode de décision : « Les décisions européennes relatives à la politique de sécurité et de défense commune, y compris celles portant sur le lancement d’une mission visée au présent article, sont adoptées par le Conseil statuant à l’unanimité, sur proposition du ministre des Affaires étrangères de l’Union ou sur initiative d’un Etat membre. » Une fois encore, le recours à l’unanimité donne à chacun un droit de veto.

Nouveauté: la possibilité d’une coopération structurée

Alors que le traité de Nice interdisait toute coopération renforcée dans le domaine de la défense, le projet de traité constitutionnel créé la possibilité d’une coopération structurée permanente à ce propos. En effet, l’article 6 précise que « Les Etats membres qui remplissent des critères plus élevés de capacités militaires et qui ont souscrit des engagements plus contraignants en la matière en vue de missions les plus exigeantes, établissent une coopération structurée permanente dans le cadre de l’Union. Cette coopération est régie par l’article III-312. Elle n’affecte pas les dispositions de l’article III 309. » Ce dernier liste les missions et précise que le Conseil définit « leur objectif et leur portée ainsi que les modalités générales de leur mise en œuvre. » Cependant, l’article III – 312 ajoute que le Conseil statue alors à la majorité qualifiée, après consultation du ministre des affaires étrangères de l’Union, lorsqu’il s’agit d’adopter une décision européenne établissant une coopération structurée. Ce qui semble ouvrir une marge de manœuvre.

La phrase clé  ?

Pour autant, l’article I-41 en son paragraphe 7 marque une évolution sensible dans sa dernière phrase. Le voici en son entier : « Au cas où un Etat membre serait l’objet d’une agression armée sur son territoire, les autres Etats membres lui doivent assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l’article 51 de la Charte des Nations unies. Cela n’affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains Etats membres.[5]

Les engagements et la coopération dans ce domaine demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, qui reste, pour les Etats qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l’instance de sa mise en œuvre. »

Cette dernière phrase mérite la plus grande attention. L’OTAN deviendrait via le projet de traité constitutionnel « le fondement » - au singulier – et « l’instance » - encore au singulier – de la mise en œuvre de la défense collective des pays membres de l’OTAN, c’est à dire la très grande majorité des Etats membres de l’UE, y compris la France.

Quelques stratèges s'interrogent

Quelle serait alors l’autonomie de la PESC ? Depuis l’automne 2004, quelques stratèges s’interrogent. Ils font valoir que la notion de « défense collective » se trouve au cœur du débat. Les responsables français se sont efforcés d’insérer dans le texte de la Convention la mention de la défense collective. Allant plus loin, certains auraient souhaité l’assortir d’une clause d’automaticité. Cette conception a été rejetée catégoriquement par les Britanniques, les Néerlandais et d’autres encore comme les Espagnols et les Polonais qui, du coup, ont exigé l’insertion dans le projet de traité constitutionnel de cette formulation visant à confirmer le monopole de l’Alliance.

Ainsi en revient-on au dilemme antérieur, posé dès Amsterdam : dès lors qu’il ne saurait y avoir de défense européenne collective en dehors de l’Alliance, celle-ci peut-elle évoluer de manière à satisfaire les exigences politiques et les besoins militaires des Etats membres ?

Europa et le monde. Crédits: P. Verluise

Tout en s’inscrivant dans la continuité des traités communautaires, le projet de traité constitutionnel marque donc plusieurs évolutions significatives en matière de Politique de sécurité et de défense commune dans un contexte politique qui reste ouvert, sous tension entre des projets manifestement contradictoires : celui des Etats-Unis et celui d’autres Etats européens.

Avec ou sans

Avec ou sans traité constitutionnel, l’avenir de la PESC passe par la réponse à la question clé : comment les différents acteurs sauront-ils faire évoluer l’OTAN et le poids des Européens en son sein ? En cas d’adoption du traité constitutionnel, s’ajoute une question subsidiaire : les articles concernant la PESC seront-ils ultérieurement amendés, et si oui, comment ?

Pierre Verluise et François Géré

Notes:

[1] UNION EUROPEENNE, « Versions consolidées du traité sur l’Union européenne et du traité instituant la Communauté européenne, Protocoles adoptés à Nice », Luxembourg, Office des publications officielles des Communautés européennes, 2003, 184 pages. Diffusé en France par la documentation Française.

[2] Pour un historique des apports successifs, consulter le site www.info-europe.fr à la rubrique Politique étrangère et de sécurité commune.

[3] Entretien avec P. VERLUISE.

[4] Cf. VERLUISE (PIERRE), « Carte de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord le 29 mars 2004 », à l’adresse http://www.diploweb.com/cartes/natotan2004verluise.htm

[5] Cette phrase restrictive vis à vis de l’ONU fait-elle référence aux Etats membres de l’OTAN ? Le contexte semble l’indiquer.

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Date de la mise en ligne: mars 2005.

 

 

 

   

 

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