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www.diploweb.com Géopolitique de l'Asie

Inde, esquisse pour une géopolitique des populations

du géant du XXIe s.

Par  le Recteur Gérard-François Dumont,    

Professeur à l'Université de Paris-Sorbonne,  Président de la revue Population & Avenir

 

L’étude du géant démographique qu’a toujours été, au moins depuis quelques millénaires, et qu’est toujours le sous-continent indien met en évidence combien peuvent s’exercer des lois de la démographie politique, comme la loi du nombre, la loi des groupes ou la loi du différentiel. Elle souligne combien l’analyse géopolitique ne doit pas, pour être complète, omettre l’importance de l’état et la vie des populations sur les territoires.

Dans le cadre de ses synergies géopolitiques, le www.diploweb.com  est heureux de vous présenter sur Internet ce texte de Gérard-François Dumont, « L’Inde, esquisse pour une géopolitique des populations du géant du XXIe siècle », initialement publié dans la revue Géostratégiques, n° 12, mai 2006.

Biographie de l'auteur en ligne.

Mots clés - Key words: inde, esquisse pour une géopolitique des populations du géant du 21e siècle, recteur gérard-françois dumont, professeur de l'université de paris-sorbonne, président de la population et avenir, revue stratégiques, chine, états-unis, union européenne, poids démographique, population mondiale, loi du nombre, raisons du nombre, masse humaine, pérennité de la civilisation indienne, , loi des groupes, optention d'avantages politiques par un groupe, superficie et population dans le sous-continent indien, proportion des musulmans dans l'union indienne de 1901 à 1991, risque de différentiel, états et territoires de l'union indienne, habitants, superficie, densité, disparités de peuplement.

*

 

 

Dans les « Jeux olympiques » des pays les plus peuplés, le XXIe siècle pourrait inverser le classement entre le premier, actuellement la Chine, et le deuxième, actuellement l’Union indienne. En toutes hypothèses, les deux conserveront très largement l’avantage sur le troisième, que ce soit les Etats-Unis ou, si l’on considère une organisation régionale, l’Union européenne, même si cette dernière s’élargissait à la Turquie, à l’Ukraine et à la Russie. En fait, s’il n’y avait pas eu partition de l’Inde en 1947, la question ne se poserait pas : l’Inde, additionnant l’Union indienne, le Pakistan et le Bangladesh, compterait davantage d’habitants que la Chine, même en ajoutant Taiwan à cette dernière. Mais la partition de l’Inde est un fait géopolitique durable.

Le véritable derby démographique du XXIe siècle concerne donc la Chine et l’Union indienne. Et ce dernier pays mérite une attention particulière car, après avoir dépassé le milliard d’habitants au tournant du XXIe siècle, il pourrait prendre la première place, notamment parce qu’il ne subit pas les effets pervers des politiques coercitives de population de la Chine[i].

L’Union indienne atteint donc en 2005[ii] un poids démographique inédit, estimé à 1,103 millions. En réalité, son poids démographique relatif dans la population mondiale a toujours été important, ce qui explique sans doute une partie de son histoire, illustrant ce que j’appelle la « loi du nombre », qui se définit par le fait que « le poids politique d’une population dépend notamment de son importance démographique ». L’Union indienne désormais séparée des autres territoires du sous-continent, témoigne aussi de la « loi du groupe » que je définis ainsi : « au sein d’une population vivant sur un territoire donné, des groupes spécifiques peuvent utiliser, directement ou indirectement, leur poids quantitatif pour modifier leur situation, obtenir des avantages politiques ou influencer la politique internationale du territoire ». L’Union indienne conduit aussi à s’interroger sur une autre des lois de la démographie politique que j’ai proposées : « la loi du différentiel : des différences d’évolutions démographiques, naturelles ou migratoires, sur un territoire, ou entre plusieurs territoires, exercent des effets géopolitiques et politiques ».

 

Les raisons du nombre

Géographiquement, l'Inde n'est pas aussi vaste que la Chine, ou les États-Unis. Mais l'Inde a toujours été un grand foyer de peuplement. Ceci peut s’expliquer par des ressources naturelles essentielles permettant la prospérité d’une civilisation - terre cultivable, eau et lumière du soleil. Même aujourd'hui, alors que l’Inde compte un niveau élevé de population, le nombre de personnes par unité de terre cultivée en Inde reste au-dessous de celui de l'Europe ou de la Chine. L'Inde est ainsi bien dotée, voire mieux que ceux-ci, malgré le caractère relativement limité de son étendue géographique par rapport à la Chine ou à l’Amérique du Nord.

Une deuxième raison de l’existence d’un important foyer de peuplement dans le sous-continent tient aux conditions naturelles qui imposent une main-d’œuvre abondante. En effet, la vie et le rythme démographique de la population indienne sont notamment dépendants de la régularité de la mousson. Dans les deltas et sur les plaines littorales, les typhons provoquent régulièrement des dégâts nécessitant un travail de réaménagement[iii]. Après chaque mousson dévastatrice, les travaux des hommes pour réparer les systèmes hydrauliques, ou les améliorer sont permanents, nécessitant beaucoup de main-d’œuvre, ce qui incite à une fécondité élevée.

 

Une masse humaine expliquant la pérennité de la civilisation

Une autre caractéristique de l’Inde tient à l’ancienneté de sa civilisation et à son maintien en dépit des vicissitudes de l’histoire et de nombreuses tentatives de domination provenant d’autres pays.

À partir du VIIe siècle après Jésus-Christ, l'Inde fait face à une nouvelle incursion externe, celle des musulmans. Des expéditions islamiques par la terre ou la mer commencent dès 636 après Jésus-Christ. Mais l’Inde résiste aux tentatives d’expansion de l'Islam pendant trois siècles.

Donc, par contraste avec la conquête facile de territoires par les forces islamiques dans beaucoup d'autres parties du monde, Moyen-orient, Afrique septentrionale, Espagne, pays de la route de la soie, il a fallu près de cinq siècles à l’islam pour s’imposer face aux défenses de l'Inde. L’Inde du Nord commence à être soumise en 1192 après la victoire de Mohammad Ghôri qui permet aux musulmans de devenir maître du nord-est de l’Inde. De 1192 à environ la fin du XVIIe siècle, donc pendant environ cinq siècles, plusieurs dynasties islamiques, comme les « Turko-Afghans » et plus tard les Moghols de l’Asie centrale, gouvernent de grandes parties de l'Inde. Mais, bien que les princes soient islamiques, l’Inde ne se convertit à l’islam que de façon minoritaire, plutôt dans ses parties septentrionales, et n’abandonne nullement les principes fondamentaux de sa civilisation traditionnelle. Tout se passe comme si l’islamisation de l’ensemble des terres indiennes était limitée face à l’importance du peuplement du sous-continent indien, tandis que les masses indiennes parviennent à adapter leur mode de civilisation tout en étant dominé politiquement par des pouvoirs adhérant à une autre religion.

Il est vrai que, dans les autres territoires où il s’est effectivement diffusé, l’islam s’est rarement trouvé confronté à de très importants foyers de peuplement. L’histoire enseigne que les grands foyers de peuplement du monde sont, au moins depuis l’ère chrétienne, la Chine, le sous-continent indien et l’Europe. Or ces trois ensembles ont tous offert une résistance à la propagation de l’islam pendant les siècles d’extension de cette religion, du VIIe au XIIIe siècles.

Dans le contexte démographique d’un sous-continent indien dense et peuplé, des souverains musulmans ont compris qu’ils ne pouvaient faire de tous leurs nombreux sujets des musulmans. Certains ont même promu une certaine tolérance des croyances, contribuant à faire évoluer l’identité indienne dans un contexte pluraliste expliquant les spécificités de certaines réalisations artistiques. Des souverains islamiques, consciemment ou non, ont même souhaité appliquer ou respecter certains aspects de la civilisation de l'Inde. Les invasions musulmanes ont néanmoins fait évoluer la nature culturelle de l’Inde d’une civilisation assez homogène vers une culture portée par une identité composite comprenant une dimension islamique mêlée à la civilisation indienne traditionnelle.

En conséquence, même après cinq siècles de domination politique islamique sur d’importants territoires indiens et l'apogée de la domination Moghol à la fin du XVIIe siècle, la proportion de Musulmans dans la population de l'Inde demeure minoritaire et ne concerne qu’environ un sixième de la population. Et la loi du nombre qui a contenu l’islam finit par vouloir s’imposer politiquement. Au milieu du XVIIe siècle, les Indiens commencent à se soulever contre les dirigeants Musulmans dans la plupart des territoires et l’empire se morcelle en territoires indépendants. Au début du XVIIIe siècle, l'Empire ne domine plus, et les territoires indiens passent sous la souveraineté d’Indiens non musulmans. Cependant, avant qu’une reconstruction politique indienne puisse être complètement consolidée, l’Inde devient un champ de rivalités pour les pays occidentaux. Les Anglais finissent par dominer le sous-continent sans guère changer la nature de sa civilisation. Ils laissent parfois une autonomie relative à des chefs locaux et l’Inde compte en 1877, à la proclamation de l’empire des Indes, 629 Etats vassaux.

Pendant la période de pénétration européenne, puis de domination anglaise, naît une minorité chrétienne, mais de poids démographique très limité, non susceptible de remettre en cause l’identité indienne forgée par des religions antérieurement installées.

Le nombre s’est donc imposé d’abord en empêchant l’islamisation de l’ensemble du sous-continent, puis en réagissant à la domination de pouvoirs venus de l’extérieur ou dont les descendants étaient toujours considérés comme étrangers à la longue histoire de la civilisation indienne. Puis le nombre, comme dans les autres mouvements de décolonisation, impose cette dernière à partir du moment où la transition démographique[iv], qui commence dans les années 1920 en Inde, démultiplie la population, modifiant les rapports de force démographique entre la métropole et ses colonies.

Néanmoins, les conquêtes islamiques expliquent la présence dans le sous-continent d’une forte minorité musulmane qui témoigne de la loi des groupes en démographie politique.

 

La loi des groupes ou l’optention d’avantages politiques par un groupe

L’importance de cette minorité religieuse est attestée précisément par les résultats du premier recensement effectué en 1881 qui précisent la répartition religieuse de l’Inde.  Ceux qui se déclarent d’une religion d'origine indienne constituent 79% de la population, parmi laquelle 95% environ sont des Hindous. Parmi les 21% restant de la population, environ 96% sont des Musulmans. Mais ce pourcentage de 21% n’est qu’une moyenne, car la minorité musulmane est inégalement répartie sur le sous-continent. Sa géographie se caractérise par un poids démographique relatif plus important dans les régions nord-ouest et nord-est du sous-continent indien. La double pression d’une minorité nombreuse et proportionnellement plus nombreuse sur certains territoires crée les conditions conduisant à la partition de 1947.

Conscients de la dualité religieuse indienne, les Anglais instaure en 1909 un électorat séparé. La minorité musulmane reconnaît que cela lui offre une représentation, mais, parmi ses membres, certains veulent plus, c’est-à-dire un espace de pouvoir. Dès les années 1910, alors que se dessinent des démarches vers l’autonomie, susceptibles d’ouvrir la voie à une future indépendance de l’inde, des musulmans craignent la domination des hindous. Ils revendiquent un État séparé constitué des régions où la proportion des musulmans est importante, parfois majoritaire. Il est vrai que les hindous ont parfois mieux su profiter que les musulmans des opportunités de la présence des territoires indiens dans l’empire colonial anglais.

Des violences éclatent entre les deux communautés. Contre Gandhi, le parti du Congrès accepte en 1946 l’idée d’une partition de l’empire. Le 15 avril 1947, Gandhi et Jinnah signe une déclaration commune en faveur de la partition. Il s’en suit la naissance du Pakistan le 14 août 1947. Approximativement 23% du territoire de la région et 18% de la population de l'Inde en 1941 sont mis sous la souveraineté du Pakistan. La « purification religieuse » imposée est massive : cinq à dix millions d’hindous et de sikhs quittent leur terre pour rejoindre celles de l’Union indienne et 5 à 7 millions de musulmans fuient au Pakistan. En Inde du Nord et au Pendjab, un contexte de massacres et de violence accompagne cet énorme mouvement humain, entraînant environ 500 000 morts, directs en raison des tueries ou indirects en raison de maladies et de famines.

Mais cette « purification ethnique » n’instaure nullement la paix pour laquelle elle était appliquée. Certes, des musulmans du sous-continent indien forment un Etat musulman qui devient en quasi-totalité de religion musulmane en raison des migrations, mais ce n’est pas une nation. Et les lois de la géopolitique des populations s’exercent. La minorité musulmane de l’Inde était si importante et depuis si longtemps cohabitante avec les autres Indiens qu’il était illusoire qu’elle gagne en totalité le Pakistan. Du côté de l’Union indienne, nombre de musulmans rejettent l’idée de deux Etats séparés et la rejettent toujours, constatant notamment le caractère artificiel d’un État pakistanais sans identité nationale et qui n’est qu’apparemment homogène. En effet, cet État demeure tiraillé entre différentes composantes ethniques, idéologiques ou selon les origines géographiques, sans oublier les tensions dues au refus de certains d’accepter différentes conceptions de l’Islam, notamment celles entre l’islam sunnite et le chiisme. Alors que l’Union indienne construit une démocratie, l’État pakistanais ne se révèle pas attirant pour la minorité musulmane restée en Union indienne. Ce pays devient donc l’un des tous premiers[v] en nombre de musulmans dans le monde, avec l’Indonésie, le Pakistan et la Bangladesh) en dépit des tensions qui se constatent parfois entre les communautés religieuses.

Figure 1. La superficie et la population dans le sous-continent indien

 

Superficie

Population

Population

Augmentation

Densité

Densité

 

en milliers

1941

2005

de population

1941

2005

 

de km2

en millions

en millions

2005/1941

hab./km2

hab./km2

Inde

4 232

389

 

 

 

 

Union indienne

3 291

319

1 104

346%

97

335

Pakistan 1947

941

70

 

 

74

0

Pakistan depuis 1971

797

28

162

580%

35

204

Bangladesh

144

42

144

343%

292

1 001

© Gérard-François Dumont. 

Moins d’un quart de siècle plus tard, l'État pakistanais éclate, avec la formation en 1971 du nouvel État de Bangladesh composé de l’ancienne partie orientale du Pakistan.

Envisagé dans ce contexte historique, l'histoire de l'Inde et le Pakistan, peut être décrit comme l'histoire de frères séparés. Deux peuples ayant de très forts liens ethniques et historiques se sont séparés par une limite se voulant fondée par les considérations religieuses. Dès les années suivant les indépendances, la situation empire. La méfiance continuelle entre les dirigeants des deux pays, la pomme de discorde du Cachemire, et l'opposition de l'Union indienne à un État pakistanais soutenant des actions terroristes entraînent des relations entre les deux pays qui fluctuent entre le pire et le moins pire.

Alors qu'une réconciliation entre les deux pays paraît fort éloignée, une telle idée est même rejetée par certains analystes. Ces derniers s’inquiètent d'un scénario éventuel de réconciliation, considérant que les forts liens culturels qui lient les Etats de Pendjab des deux côtés de la frontière ou la population du Gujarat (Union indienne) avec celle de Sind (Pakistan) pourraient donner naissance à des tendances au séparatisme dans un esprit d’unification entre ces États. Ils considèrent que la paix créerait d’autres formes d'instabilité à l’intérieur des États ! 

Figure 2 : Les musulmans dans l’Union indienne

 

La création du Pakistan n’a finalement guère modifié la nature d’une Union indienne composée d’une forte minorité musulmane. La loi du groupe impose donc à la démocratie indienne, pour conserver la concorde sociale indispensable à son développement et à son poids géopolitique, de savoir déployer des politiques permettant aux différences cultures nées de son histoire de vivre ensemble dans la diversité.

Une autre problématique de la démographie politique de l’Union indienne tient aux évolutions disparates selon ses États fédérés qui donnent à réfléchir à la loi du différentiel.

 

Le risque de différentiel

Comme tous les pays, les territoires indiens se caractérisent par un poids démographique différent de ses Etats fédérés et par des disparités de peuplement[vi]. Mais l’écart le plus notable est celui qui différencie les taux d’accroissement démographique, écart susceptible d’exercer des effets politiques. 

Des États diversement peuplés

Considérer l’Union Indienne nécessite en effet de prendre en compte ses disparités, car le peuplement et le cheminement de la transition démographique dans cet ensemble fédéral sont différents selon les vingt-huit États fédérés et les sept Territoires de l’Union. Les Territoires les moins vastes comptent des effectifs de population généralement faibles : deux archipels (îles Andaman et Nicobar dans le golfe du Bengale et Îles Laquedives dans la mer d’Oman), Dâdra et Nagar Haveli, Damân-et-Diu et Pondichéry ont un poids démographique nettement inférieur et parfois très inférieur au million d’habitants ; la ville de Chandigarh, autonome, compte 900 000 habitants. Parmi les Territoires de l’Union, seul celui de la capitale fédérale, Delhi, compte un important peuplement relatif, avec près de 14 millions d’habitants.

Quant aux vingt-huit Etats, leur population s’étage de l’Uttar Pradesh, où vivent plus de 160 millions d’habitants, qui le rend comparable à beaucoup  de pays du monde en termes de volume de population, sur une superficie de 240 928 km2, au Sikkim, l’État le moins peuplé avec un demi million d’habitants sur 7 096 km2.

Les six États de l’Union indienne les plus peuplés, comptant chacun plus de 60 millions d’habitants, représentent ensemble 52% de la population de l’Union sur le quart du territoire. Dans l’ordre décroissant, il s’agit de l’Uttar Pradesh, au Nord, traversé par le Gange (160 millions), du Bihar (83 millions), à l’est de l’Uttar Pradesh, également traversé par le Gange, du Mahârâshtra au centre est (96 millions), du Bengale occidental (80 millions), de l’Andhra Pradesh, au sud-est (75 millions), et enfin du Madhya Pradesh, au centre du pays, avec 60 millions. Les cinq Etats gangétiques (Uttaranchal, Uttar Pradesh, Bihar, Jharkhand et Bengale occidental) comptent donc 366 millions d’habitants sur 556 140 km2, soit une densité moyenne de 658 habitants/km2. Les deux Etats de l’extrême sud, le Kerala sur la mer d’Oman et le Tamil Nâdu côté golfe du Bengale, sont également denses, avec respectivement 819 habitants/km2 et 478 habitants/km2.

Figure 3 : La population des États et des Territoires de l’Union indienne

 

 

Habitants

Superficie

Densité

 

Rang

Par ordre décroissant

en milliers

en km2

hab/km2

 

de population

2001

 

 

1

Uttar Pradesh

166 052

240 928

689

2

Mahârâshtra

96 752

307 713

314

3

Bibâr

82 879

173 877

477

4

Bengale-occidental

80 221

87 852

913

5

Andhra Pradesh

75 728

275 069

275

6

Tamil Nâdu

62 111

130 058

478

7

Madhya Pradesh

60 385

308 245

196

8

Râjasthân

56 473

342 239

165

9

Karnâtaka

52 734

191 791

275

10

Gujarât

50 597

196 022

258

11

Orissâ

36 707

155 707

236

12

Kerala

31 839

38 863

819

13

Jharkhand

26 909

79 711

338

14

Assam

26 638

78 438

340

15

Pendjab

23 289

50 362

462

16

Haryana

21 083

44 212

477

17

Chhattisgark

20 796

135 191

154

18

Delhi

13 782

1 483

9293

19

Jammu-et-Cachemire

10 069

101 387

99

20

Uttaranchal

8 480

53 483

159

21

Himâchal Pradesh

6 077

55 673

109

22

Tripura

3 191

10 486

304

23

Manipur

2 390

22 327

107

24

Meghâlaya

2 310

22 429

103

25

Nâgaland

1 988

16 579

120

26

Goa

1 334

3 702

360

27

Arunachal Pradesh

1 091

83 743

13

28

Pondichéry

973

492

1978

29

Chandigârh

900

114

7895

30

Mizoram

891

21 081

42

31

Sikkim

540

7 096

76

32

Andaman et Nicobar (îles)

356

8 249

43

33

Dâdra et Nagar Haveli

220

491

448

34

Damân-et-Diu

158

110

1436

35

Lakshadweep (archipels)

70

32

2188

© Gérard-François Dumont -

 

 

 

 

Disparités de peuplement

De façon générale, les zones de fort peuplement de l’Union indienne correspondent à des espaces ruraux ou urbains assez délimités. Bien que la proportion de population urbaine soit encore faible, sa croissance est générale, tant dans les villes millionnaires, dont les principales sont Mumbaï (Bombay), Calcutta et Delhi, que dans les villes petites ou moyennes, ces dernières connaissant un rythme de croissance plus élevé que les grandes. Néanmoins, à l’instar du peuplement, le réseau urbain est très différencié ; les effectifs les plus élevés de population urbaine correspondent à trois régions : celles des plaines du bassin du Gange, de Delhi à Calcutta, en passant par les villes de Kânpur, Vanarasi (Bénarès), et Patna ; un sillon nord-sud allant d’Ahmadabad, capitale du Gujarât, à Mumbaï, et enfin l’extrême sud, avec l’armature urbaine du Kerala, du Tamil Nadu et la région urbaine de Bangalore dans l’Etat du Karnataka.

L’Union indienne est nettement moins dense dans ses parties les plus « sèches », dans un vaste couloir la traversent du nord-ouest au sud-est, du Rajasthan aux espaces non littoraux de l’Etat d’Orissa. Une seconde zone peu dense correspond aux États de l’extrême nord-est, l’Assam, l’Arunachal Pradesh, le Meghalaya,  le Sikkim, le Tripura, le Manipur, le Nagaland et le Mizoram.

Une question de population à effet politique susceptible d’interroger la loi du différentiel est le déséquilibre démographique croissant de l’Union indienne. Les quatre Etats du sud - Kerala, Tamil Nadu, Andhra Pradesh et Karnataka – sont très avancés dans la transition démographique, alors que les quatre grands Etats du Nord – Uttar Pradesh, Bihar, Madhya Pradesh et Rajasthan – sont à la traîne. Il en résulte une disparité croissante en termes démographiques entre le Nord et le Sud.

Dans les Etats du Sud indien disposant d’équipements médicaux corrects, les taux de scolarisation et d’activité des femmes sont élevés, la transition touche à sa fin, et peut même être considérée comme terminée dans le Kerala, dont le taux de mortalité infantile est de seulement 13 pour mille naissances. En revanche, au Nord, dans les Etats les moins développés, où le réseau sanitaire laisse relativement à l’écart la caste des « intouchables », le taux de mortalité infantile est encore élevé, l’espérance de vie brève, et la surmortalité féminine incontestable ; par exemple, en Uttar Pradesh, la fécondité reste élevée et la transition peu avancée.

Pourquoi l’avancée de la transition démographique du Kérala a-t-elle été assez rapide ? L’une des raisons tient à une densité permettant un aménagement du territoire de cet Etat facilitant l’accès aux soins de santé et à l’instruction. La totalité des villages du Kerala sont reliés par voie terrestre ou fluviale. La population est en moyenne de 15 000 habitants par village, contre seulement 700 au Madhya Pradesh. Le modèle du Kérala peut-il fonctionner dans les autres Etats, même avec des investissements importants dans la santé et l’instruction ? Sans doute, mais ces Etats doivent d’abord développer massivement leur réseau de transport pour améliorer l’accès aux hôpitaux et aux écoles.

Les différentiels de taux d’accroissement démographique selon les Etats de l’Union indienne engendrent un potentiel de rivalités politiques entre le Nord et le Sud. En effet, si le nombre de sièges du Parlement s’ajustait proportionnellement aux effectifs de la population, le pouvoir politique du Nord grandirait au détriment du Sud. En résumé, le Sud paierait d’un prix politique son avancée plus rapide dans la transition démographique. Pour éviter ou retarder ce risque, la déclaration de politique de population adoptée par le Parlement en 1976 a gelé la répartition. Néanmoins, après les résultats du recensement de 1991, plusieurs cercles politiques ont déjà appelé à un ajustement de la répartition des sièges par Etat. Dans ce cas, les Etats du Sud seraient perdants et les Etats du Nord gagnants. Puis cette date de 2001 s’est trouvée prolongée sur les recommandations faite par le Comité Swaminathan dans son rapport sur la politique de population : « Jusqu’à présent, les sièges au parlement et dans les législatures sont gelés jusqu’en l’an 2001. Dans la ligne des objectifs de cette politique, il est proposé de prolonger cette période de gel des sièges jusqu’en 2011 (Swaminathan Comité, 1994, 40) ». D’autres considèrent qu’il faudrait une réforme constitutionnelle qui introduirait de façon uniforme un nombre fixe de sièges pour tous les Etats de l’Inde aux Chambre Haute et Basse du Parlement, à la façon du Sénat des Etats-Unis et non à celle de la Chambre des représentants. Le débat n’est pas clos…

L’étude du géant démographique qu’a toujours été, au moins depuis quelques millénaires, et qu’est toujours le sous-continent indien met en évidence combien peuvent s’exercer des lois de la démographie politique, comme la loi du nombre, la loi des groupes ou la loi du différentiel. Elle souligne combien l’analyse géopolitique ne doit pas, pour être complète, omettre l’importance de l’état et la vie des populations sur les territoires.

Recteur Gérard-François Dumont

Professeur à l'Université de Paris-Sorbonne Président de la revue Population & Avenir, 191, rue Saint-Jacques, 75005 Paris  tél/fax #33(0)6 65 74 48 51. Courriel - e-mail : Gerard-Francois.Dumont@paris4.sorbonne.fr

Notes de l'étude
 

[i] Dumont, Gérard-François, Les populations du monde, Paris, Éditions Armand Colin, deuxième édition, 2004.

[ii] Cf. Population & Avenir, novembre-décembre 2005.

[iii] Catherine Gueguen, « Population et développement en Inde », Population & Avenir, n° 654, septembre-octobre 2001.

[iv] Période, de durée et d’intensité variables, pendant laquelle une population passe d’un régime démographique de mortalité et de natalité élevées à un régime de basse mortalité, puis de faible natalité.

[v] Dumont, Gérard-François, « Les religions dans le monde : géographie actuelle et perspectives pour 2050 », in : Dupâquier, Jacques, Laulan, Yves-Marie, L’avenir démographique des grandes religions, Paris, François-Xavier de Guibert, 2005.

[vi] Christian-Marie Col, « Les contrastes de peuplement dans l’Inde », Population & Avenir, n° 667, mars-avril 2004.

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Date de la mise en ligne: avril 2007

 

 

 

 

   

 

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