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Le Pakistan de Musharraf, enfin respectable ?

par Olivier Guillard, spécialiste des questions de sécurité en Asie

 

Dans le cadre de ses synergies géopolitiques, le site www.diploweb.com vous présente en exclusivité sur Internet un extrait de l’ouvrage d’Olivier Guillard publié en juin 2005 par les éditions LIGNES DE REPERES. Pour en savoir plus, consultez le dossier de cet ouvrage et suivez son actualisation sur : www.lignes-de-reperes.com

Vous trouverez en bas de page : 2: Présentation de l’ouvrage. 3: Présentation de l’auteur.

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1: L’extrait

DES INTERROGATIONS QUI DEMEURENT

Dans cet ultime chapitre, nous aborderons quelques-unes de ces interrogations déterminantes pour le cours du tumultueux fleuve pakistanais : qui détient vraiment la réalité du pouvoir à Islamabad ? Le pays est-il vraiment convalescent ?

 

      Section 1         Qui détient vraiment la réalité du pouvoir ? 

           1 - Les partis politiques  

Commençons par les partis politiques majeurs : le Pakistan People Party (PPP ) de Madame Bhutto - à ce jour encore confinée à l’exil - , la Pakistan Muslim League - N (PML-N) version Nawaz Sharif – lui aussi en exil -, le Muttahida Qaumi Movement (MQM ) de la communauté Mohajir (dont le chef charismatique, Altaf Husain, est lui aussi en exil à Londres depuis 12 ans) ou encore l’islamisante alliance des partis religieux, la Muttahida Majlis-e-Amal (MMA ) et les plus modestes Pakistan Awami Tehrik (PAT) et Tehrik-i-Insaf [TI].

En dépit d’une présence par médias, meetings (quand ils sont autorisés) et déclarations interposés, les partis politiques demeurent des acteurs de second plan à l’influence écornée. Même si certains, par instinct de survie, se sont rapprochés de l’administration civilo-martiale Musharraf . Le fait demeure que muselés, encouragés à conserver un profil « raisonnable », à prêcher dans la douceur le retour du plein exercice démocratique, les partis politiques rongent leur frein, (encore) incapables à ce jour de peser de façon décisive sur le cours des choses.

Tapis en retrait, attendant leur heure, celle du retour des militaires dans leur caserne, ils demeurent de redoutables adversaires prêts à précipiter, le moment venu, la fin de cette nouvelle parenthèse martiale. Dans l’état présent des choses, on ne saurait toutefois que les encourager à un peu de patience… en dépit de quelques gestes bien sentis du pouvoir (cf. « Political reconciliation with Opposition will continue : Shaukat Aziz , President », Daily Times, 23.12.04 ; “Reconciliation efforts under way: President”, Dawn, 24.12.04). La fragilité de divers indicateurs sensibles - environnement sécuritaire, violence interethnique, lutte contre le terrorisme, économie -  et le lustre élimé des acteurs traditionnels (exil et cas de corruption contre leurs leaders, programmes politiques peu crédibles, clientélisme, etc.) ne militent pas en faveur d’un retour précipité.

La presse étrangère, indienne notamment, constitue une tribune abondamment utilisée par les leaders politiques, à l’image de Benazir Bhutto, dont on prend régulièrement la mesure du courroux : « L’arrestation d’Asif Sahib (son époux) montre le double standard du régime. Celui-ci autorise les partis religieux à manifester et à organiser des meetings à Rawalpindi. Il entend montrer à la population et au monde que le choix au Pakistan se fait entre une dictature militaire et une dictature religieuse » (The Hindu, 23.12.04).

 

L’Alliance pour la restauration de la Démocratie

L'Alliance pour la Restauration de la Démocratie (ARD) a été créée en décembre 2000. Elle compte une quinzaine de partis politiques dont le Pakistan People's Party (PPP), la Ligue musulmane du Pakistan (groupe de Nawaz), le Muttahida Qaumi Movement (MQM), l’Awami National Party (ANP) et le Pakistan Democratic Front. On trouve également des groupes ethniques et nationalistes et de petites organisations religieuses.  

Elle aussi attentive à la stabilité du pays, la communauté internationale, officiellement favorable au rétablissement de la démocratie, ne cache pourtant pas que dans le contexte actuel, un retour aux affaires des hommes politiques « professionnels » pourrait être contre-productif, voire inopportun.

 

                   2 - La caste des puissants

Dans le Pakistan contemporain, le pouvoir et l’autorité ne sont pas concentrés dans les seules mains de la puissante hiérarchie militaire. Sans d’influents soutiens – d’aucuns parleront de sponsors - parmi la classe aisée, l’armée ne pourrait pas relever l’ensemble des défis. En retrait de la scène publique, éloignés des sollicitations des médias nationaux, les grands propriétaires terriens, les riches potentats locaux et leurs parlementaires obligés forment les cercles du pouvoir, les faiseurs et défaiseurs de régime. Une réalité dont les anciens Premiers ministres Nawaz Sharif et Benazir Bhutto , pourtant eux-mêmes issus de ces sphères, ont en leur temps fait les frais. Le tandem armée – « haute caste », d’une évidente complémentarité, demeure un des piliers du système.

Dans les années cinquante et soixante, l’élite conforte son assise sur les affaires en étendant son influence sur la bureaucratie et l’armée. Cette oligarchie prolifique ne renoncera en rien à son autorité lors de la décennie suivante. A la fin des années 70 puis une nouvelle fois dans les ultimes semaines du siècle dernier, la prise en main directe par l’armée n’a pas malmené outre mesure les intérêts de la frange aisée. Cette alliance d’intérêts, cette complémentarité au plus haut niveau, s’analyse comme une constante historique que les diverses périodes de trouble qu’a connu le pays (guerres indo-pakistanaises, sécession du Bangladesh, coups d’Etat) n’ont pas réussi à ébranler.  

Cette frange influente, “bourgeoise”, est naturellement décriée par les échelons inférieurs. Ainsi, travailleurs et paysans dénoncent régulièrement son implication, à un niveau ou à un autre, dans les violences ethniques et religieuses, les actions criminelles, afin de détourner l’attention d’autres comportements tout autant condamnables (cf. asservissement des populations locales, main mise sur les ressources nationales, etc.). Il est intéressant de noter que cette « bourgeoisie de parvenus », où l’on trouve en bonne place d’anciens militaires reconvertis dans les affaires, n’a été qu’assez récemment acceptée, adoubée par une bourgeoisie traditionnelle voyant en elle de nouveaux acteurs aux origines et aux richesses, récentes, sujettes à caution. L’intérêt commun de barrer la route à l’extrémisme islamique et de développer une économique moribonde a eu raison, en peu de temps, de cette objection.

 

                   3 - Le « 3eme élément » : les conservateurs religieux

Ainsi que le souligne Husain Haqqani du Carnegie Endowment for International Peace, alors que les dirigeants civilo-militaires se sont petit à petit tournés vers la réduction des différends ethniques, religieux et provinciaux en guise de programme politique, les partis religieux se sont mués en une force bien organisée et bien financée pesant d’un poids considérable. Ces groupes religieux ont profité d’un patronage bienveillant de l’armée et de la bureaucratie. La force de ces apôtres d’un islam rigoureux tient notamment en leur capacité à mobiliser des ressources considérables, humaines et financières : gestion d’innombrables écoles coraniques et d’associations caritatives, publication d’une abondante littérature très orientée (quotidiens, magasines, ouvrages), mobilisation organisée, presque militaire, de leurs cadres lors de manifestations et grands rassemblements.

Ces derniers se voient comme les gardiens de l’identité. Lors de la crise de 1971, les militaires ont eu recours à la rhétorique islamiste et à l’appui des militants pour faire pression sur les leaders démocratiquement élus de la lointaine province.  

Aujourd’hui pourtant, la hiérarchie militaire perçoit la classe politique comme sa plus sérieuse rivale, bien davantage que la mouvance islamiste, tour à tour instrumentalisée ou écartée. Sans l’aide de cette dernière, les diverses réformes (cf. adoption du 17eme amendement) auraient connu quelques résistances malvenues ; mais à coup de destitutions, d’affaires de corruption et d’exil de ses leaders emblématiques, la marginalisation de la classe politique (PPP, PML–N) a fait le lit des partis religieux, plus présents que jamais.

Depuis les élections d’octobre 2002, ils constituent la 3eme force politique (20 % des voix); un acteur désormais impossible à occulter. Certains observateurs font valoir que l’oligarchie civilo-militaire projette et surdimensionne volontairement l’alliance des partis islamistes pour donner l’illusion que ces derniers gagnent de l’influence par le truchement de l’exercice démocratique. Une façon de reconnaître, d’officialiser leur influence au plus haut niveau.

Une « Coalition pour l’action », la Muttahida Majlis-e-Amal

La Muttahida Majlis-e-Amal (MMA), alliance de six partis religieux– Jamiat Ulema-e-Pakistan (JUP), Jamiat Ahle Hadith (MJAH), Islami Tehrik-e-Pakistan (ITP), Jamaat-e-Islami, Jamiat Ulema-e-Islam (JUI-F) et Jamaat-Ahl-e-Hadith -, occupe depuis les élections d’octobre 2002 1 siège sur 5 (une soixantaine de sièges) à l’Assemblée nationale, devenant la 3eme force politique. Son secrétaire général, Maulana Fazlur Rehman, a été désigné leader de l'opposition. Par ailleurs, en octobre 2002, cette formation composite a obtenu la majorité des sièges de l'assemblée provinciale de la NWFP, gouvernant de facto cette région à la sensibilité proverbiale.

Une position lui autorisant une liberté de penser frisant le crime de lèse majesté, à l’image de Maulana Fazlur Rehman, leader de l’opposition à l’Assemblée nationale et figure de proue de la Muttahida Majlis-e-Amal (MMA) selon qui « les dirigeants ont fait de ce pays une colonie des Etats-Unis d’Amérique » (The News, 01.12.04), invitant pêle-mêle le général-Président à « quitter son uniforme militaire avant le 31 décembre 2004, sans quoi la population joindrait ses forces à la MMA contre la dictature pour exiger la restauration d’une véritable démocratie dans le pays ». Un ton provocateur, révélateur de la confiance de cet acteur en pleine ascension et de la dépendance du régime civilo-militaire à son égard.

 

        Section 2  Le pays des purs est-il vraiment convalescent ? 

En peu de temps, le Pakistan est passé de l’extrême limite de la marginalisation internationale, d’une place officieuse dans le club des Etats voyous à celle plus enviée d’allié dévoué, payant de sa personne jusque dans ses frontières pour combattre la menace terroriste. Un tour de force réalisé de main de maître, fut-ce sous la contrainte d’événements extérieurs (cf. attentats du 11 septembre 2001 ; intervention militaire alliée en Afghanistan). Pour autant, le pays des purs est-il sorti de la zone rouge ?

 

                   1 - Quid de la sincérité des engagements pris ?

Depuis son arrivée aux commandes de la nation, le général Musharraf et sa garde rapprochée se sont engagés sur un ensemble de dossiers prioritaires : lutte contre la corruption , le terrorisme et l’islamisme radical, sécurité intérieure, différend du Cachemire, prolifération nucléaire, relations avec l’Inde, situation économique, sur lesquels, contre vents et marée, ils ont œuvré avec un certain succès… et quelques limites, tantôt voulues, tantôt subies. Abordons tout d’abord ces dernières. Au premier rang, notons l’inertie d’un système trouvant un certain confort dans l’instabilité, dans la précarité. Les  groupes prêchant la radicalisation (fondamentalistes religieux ; jihadistes), les opposants de tous poils (politiciens désavoués ; indosceptiques ; américanophobes) encourageant la critique en multipliant les positions hostiles à l’administration constituent un lest dont doit s’accommoder le pouvoir central.

Islamabad se heurte (comme bien d’autres) à la contingence des moyens financiers disponibles. L’amélioration de la situation économique et l’assistance financière de la communauté internationale n’ont pas encore transformé le pays en un eldorado. Les ressources continuent à manquer, incapables de combler en quelques semestres des carences vieilles parfois de plusieurs décennies. Comme dans le même temps les pesanteurs bureaucratiques et la corruption n’ont pas déserté le pays, le chantier demeure vaste et difficile. 

Combien de pays stables, de démocraties du monde développé sans aucune source interne d’inquiétude ou de tourments régionaux pourraient relever autant de challenges ? Peu, très peu, assurément. Alors dans le cas d’un pays souvent négligé, aux orientations parfois contradictoires (indocentrisme), aux priorités discutables (cf. importance du budget de la défense par rapport à celui de la santé ou de l’éducation), comment mener à bien en si peu de temps un tel chantier ?

Les attentes. Emanant d’une population fatiguée par des décennies de difficultés (instabilité, violence, conflits, coups d’Etat, corruption), les attentes ne peuvent qu’être déraisonnables. En octobre 1999, plus de 140 millions de citoyens avaient accueilli presque dans la joie, ou à tout le moins dans une bienveillante indifférence, le énième retour des militaires. Deux ans plus tard, il s’agissait déjà de passer à autre chose, de tourner le dos au régime taliban et de rejoindre - voire pour certains de se soumettre - une coalition internationale pilotée par « l’allié » américain. Pour rendre la pilule moins amère, Musharraf s’est engagé à extirper les maux rongeant le pays. De la part de cet homme au verbe sec, ces promesses prenaient une valeur forte dans l’esprit populaire. Impatiente et attentive au moindre changement, l’opinion publique - comme partout ailleurs -  est plus prompte à relever la lenteur des réalisations ou l’état (toujours) insuffisant d’avancement des programmes qu’à confirmer l’exécutif dans le bien-fondé de son entreprise.

On ne peut remettre en cause la parole du général Musharraf, prendre sa colère pour un simulacre lorsqu’il déplore l’état de désolation du pays lors de son arrivée au pouvoir, ou encore lorsqu’il s’indigne, deux ans plus tard, devant l’odieux attentat du World Trade Center de Manhattan. La disparition de la violence sectaire, de la corruption, des actions terroristes et des zones de non droit affaiblissant le pouvoir central font toujours partie des priorités de l’action gouvernementale ; ceci ne saurait se discuter. En revanche, on peut s’interroger sur le décalage entre les mesures de rétorsion et de contrôle annoncées, les moyens et les institutions officiellement mis en place et les résultats obtenus.  

Le terrorisme a-t-il disparu ? Les auteurs des attentats et de la violence interconfessionnelle ont-ils tous été sanctionnés avec autant de fermeté ? Les militants, les organisations radicales responsables ont-ils connus autre chose de plus substantiel que les interrogatoires, les interdictions d’exercer et les rappels à l’ordre ? Combien d’individus ont été condamnés par la justice ? De même, sur le chapitre de la lutte contre l’islamisme radical, a-t-on assisté à un bouleversement ? Les madrasas, les milliers d’écoles coraniques dispensant un enseignement parfois aux limites extrêmes de l’endoctrinement idéologique, sont-elles sous le contrôle des autorités, ainsi que le Président Musharraf le voulait ? 

Engagée toute affaire cessante en 1999, la lutte contre la corruption a-t-elle réduit le phénomène dans des proportions significatives ? Les caisses de l’Etat, des banques spoliées ont-elles vu les « avances » faites à leurs débiteurs rentrer par milliards de roupies ?

Enfin, la décentralisation administrative (devolution ) donne-t-elle désormais aux citoyens plus de poids dans la vie politique locale ? Une nouvelle classe d’hommes plus raisonnable, plus responsable est-elle spontanément apparue par la « magie » de ce projet ?

Sur l’ensemble de ces thèmes en dépit de la bonne volonté mis en avant par le pouvoir, on note un décalage entre les promesses de résultats vantées à l’origine et la réalité observée quelques temps plus tard. Cinq années de lutte contre la corruption , contre l’insécurité et la violence accouchent d’un bilan maigre, discutable, poussant à s’interroger sur l’étendue de l’autorité du pouvoir fédéral.  

 

                         2 - Le poids des intérêts conjoncturels

C’est un fait : quarante-trois mois après l’engagement d’Islamabad dans les rangs du monde libre, en guerre contre le terrorisme et Al-Qaida, la lune de miel avec Washington ne donne aucun signe d’essoufflement. Quand on se souvient avec quelle célérité l’administration américaine oublia jusqu’à l’existence du Pakistan une fois le retrait soviétique d’Afghanistan achevé, on peut se montrer réservé quant à la pérennité du parrainage américain…

Il est vrai que la guerre contre le terrorisme, contre les forces du mal et l’obscurantisme n’est pas encore gagnée. « Musharraf had no hand in N-proliferation” clamait de façon tonitruante à la veille de Noël 2004 le Secrétaire d’Etat américain Colin Powell , énième manifestation de soutien à l’allié d’Asie méridionale (Christian Science Monitor, 24.12.04). Le même jour, la Banque Mondiale mettait à la disposition du Pakistan un prêt de 950 millions de dollars pour l’année 2005 pour divers projets à vocation sociale (éducation, santé , lutte contre la pauvreté , irrigation). En 2004, le Pakistan avait déjà reçu de cette même institution 700 millions de dollars pour financer la lutte contre l’extrême pauvreté et la faim, l’éducation primaire, la valorisation de la condition féminine , la réduction de la mortalité infantile, la lutte contre le VIH/sida, la malaria et diverses autres maladies, la préservation de l’environnement, etc. En cette journée prodigue du 24.12.04, on apprenait encore que la Banque Asiatique de Développement (BAD) accordait un prêt de 60 millions de dollars pour la réhabilitation économique du Azad Kashmir. Une journée faste comme bien des nations en développement aimeraient en avoir plus souvent ; une preuve parmi une myriade d’autres du traitement privilégié dont bénéficie le Pakistan du général Musharraf.

Et peu importe si dès le lendemain une nouvelle bombe frappe une mosquée où se réunit la communauté chiite , si un citoyen pakistanais appartenant à une cellule terroriste est interpellé de par le monde, si un homme politique en vue est incarcéré et qu’une manifestation pacifique de soutien est interdite par le régime. Sans parler naturellement du retour à la démocratie pleine et entière repoussé aux calendes grecques ou encore des incertitudes entourant le dossier de la prolifération nucléaire du mystérieux Dr Abdul Qader Khan et ses complicités dans l’appareil d’Etat (voir ci-dessous).

 

Le Dr Abdul Qader Khan, héros national et homme traqué  

Le Dr Abdul Qader Khan, l’homme qui a reconnu avoir transféré de la technologie nucléaire vers la Libye et l’Iran, est considéré au Pakistan comme un véritable héros, celui qui a permis à ce pays en développement d’acquérir l’arme atomique. Abdul Qader Khan est né en Inde (Bhopal) en 1935, dans une famille modeste. Il immigre au Pakistan en 1952, cinq ans après la partition. Ses études l’amèneront successivement à Karachi, en Allemagne puis en Belgique, avant d’obtenir en 1970 un poste en Hollande dans une usine d’enrichissement d’uranium. En 1976, il revient au pays pour prendre en main, avec l’appui du Premier ministre Z.A. Bhutto, le programme de recherche nucléaire national. Le Khan Research Laboratories  (KRL) de Kahuta devient le point focal des efforts atomiques. Des soupçons de détournement de technologie nucléaire le suivent déjà ; en 1983, un tribunal d’Amsterdam le condamne par contumace à quatre années d’emprisonnement (décision annulée en appel). Les efforts du Dr Khan sont révélés au grand jour lors des premiers essais atomiques en mai 1998. En 2001, il est promu par le général Musharraf au rang de Conseiller spécial (Science et technologie) de la présidence. Un poste prestigieux que l’intéressé devra toutefois quitter sans délai en janvier 2004, lorsque l’étau sur ses activités clandestines proliférantes se resserre au plus près. Des révélations qui bouleverseront la population, nonobstant un mea culpa télévisé digne d’une mise en scène médiocre : « J’assume l’entière responsabilité de mes actions et implore votre pardon ». Une démarche censée éloigner la culpabilité des plus hautes autorités de l’Etat ; un exercice en vérité peu convaincant. Dès 2003, Washington avait imposé des sanctions à KRL, soupçonnée d’acquisition illicite de technologie balistique nord-coréenne.

Dans son édition du 26 décembre 2004, le New York Times ironise sur le sujet, comme pour dissocier la position des autorités américaines de l’approche plus vraisemblable des enquêteurs indépendants. La douceur caractérisant les relations contemporaines du monde extérieur et du Pakistan demeure liée à la coopération d’Islamabad, à sa bonne volonté sur les grands dossiers agitant le monde post-11 septembre 2001 . A ce titre, son entente avec Washington est capitale. Si le régime civilo-militaire peut s’offrir quelques libertés, quelques écarts (ce qu’il ne semble pas rechercher) vis-à-vis de ses autres partenaires (Union Européenne , pays du Golfe, Organisation de la Conférence Islamique , pays d’Asie centrale, méridionale et du sud-est), la même latitude ne lui est pas permise à l’égard de l’hyperpuissance américaine. A Islamabad de se montrer coopérative, conciliante, de prouver encore et encore sa bonne volonté pour bénéficier le plus longtemps possible de cet indispensable parrainage (diplomatique, politique, économique et financier), sans lequel la reconstruction du pays, sa stabilisation interne et régionale, s’avéreraient plus complexes (moindre assistance financière des grands bailleurs de fonds multilatéraux, par exemple). A ce titre, le projet de gazoduc Iran-Pakistan-Inde pourrait avoir valeur de test, la diplomatie américaine ayant récemment laissé entendre qu’elle ne privilégierait pas sa réalisation, Téhéran demeurant aux prises avec Washington sur divers dossiers sensibles (programme nucléaire ; ingérence en Irak). 

 

                   3 - Quelle stratégie à moyen et long terme ?

Vers quels horizons les élites dirigeantes entraînent-elles le Pakistan ? Envisagent-elles, au-delà du contexte actuellement très favorable de ses rapports avec les grands argentiers et acteurs politiques internationaux, une stratégie à long terme convaincante, équilibrée et réfléchie ? Ici encore, le doute persiste. Dans quelle mesure Islamabad conçoit-elle pour demain une politique nationale plus indigène, moins dépendante des relations avec le monde extérieur ? Sur quels piliers le gouvernement compte-t-il poser son futur édifice ?

Les incertitudes plus que les assurances dominent le débat. A y regarder de plus près, le sentiment d’une politique au jour le jour prédomine, le pouvoir semblant – et, au regard de l’ensemble des défis auxquels il fait actuellement face, on peut le comprendre – incapable de gérer avec recul au-delà d’un horizon très court. Pour l’heure, on ne peut s’empêcher de penser que l’équipe dirigeante mise sur une philosophie proche du « profitons à fond du moment présent » (« Pakistan and US start new chapter of multifaceted relationship », Daily Times, 28.12.04) sur le modèle des années quatre-vingts, lorsqu’il s’agissait de tirer, à court terme, le meilleur de l’assistance et de la générosité du concert des nations (période de l’invasion soviétique). Un modèle de développement national qui, au Pakistan comme ailleurs, a fait long feu. La précarité de l’environnement dans lequel surnage l’équipe Musharraf lui interdit de se projeter trop loin dans le temps, de fixer des objectifs ambitieux alors que son propre sort ne tient parfois qu’à un fil bien ténu. Le 24.12.04, deux soldats ont été condamnés (par un tribunal militaire), l’un à la peine capitale, le second à 10 ans d’emprisonnement pour leur participation à deux tentatives d’assassinat sur le Président Musharraf une année plus tôt (14 et 25.12.03 ; 17 victimes). L’identité du commanditaire reste incertaine, même si, depuis août 2004, la piste Al-Qaida est privilégiée ; Islamabad offre 350 000 dollars à toute personne dont les informations permettraient la capture de Abu Faraj al-Libbi, un ressortissant libyen considéré comme l’un des relais d’Al-Qaida dans la région. Toutefois, certaines lignes directrices - spontanées ou forcées -  laissent apparaître des orientations fortes pour le futur.

Dans la mesure de ses moyens, le pouvoir central demeurera fort, pôle d’impulsion et d’autorité ultime, nonobstant les revendications contraires des provinces. Au plus haut niveau de l’appareil d’Etat, la présence de l’armée demeurera incontournable, indiscutable. Un retour au premier plan des acteurs politiques traditionnels – obligatoirement négocié avec les militaires – ne duperait pas l’observateur.

Une plus grande ouverture économique et commerciale vers la périphérie (Asie Méridionale, Asie Centrale et Golfe Persique), vers l’étranger proche (Chine, partenaires économiques du sud-est asiatique) et enfin en direction des grands acteurs des échanges internationaux (Union Européenne, Amérique du Nord, Japon) devrait façonner les réflexions stratégiques de ce jeune pays.

Olivier Guillard 

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Copyright mai 2005 Guillard - Lignes de repères

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Date de la mise en ligne: octobre  2005

 

   

2: Présentation de l’ouvrage

   

 

 

Le Pakistan, dirigé d’une main ferme par le Général Pervez Musharraf, semble accéder à la respectabilité internationale. N’est-il pas devenu un allié majeur des Etats-Unis dans la lutte contre le terrorisme ? Les relations avec l’Inde ne sont-elles pas en voie de normalisation, après 3 guerres depuis l’indépendance du Pakistan ? Mais les menaces sur l’avenir du Pakistan demeurent nombreuses : unité nationale fragile, territoires hors contrôle du pouvoir officiel, démocratie balbutiante, terrorisme et violences sectaires, prolifération nucléaire, troubles récurrents aux frontières, entre autres.

 

Le Pakistan, pays charnière de la région, n’est pas sorti de la tourmente. Un ouvrage pour mieux comprendre le Pakistan, sous tous ses angles : géopolitique, socio-économique, politique.

   

 

       
    3. Présentation de l’auteur    
   

Olivier Guillard, docteur en droit international, spécialiste des questions de sécurité en Asie, a travaillé plusieurs années pour les services français. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont « La stratégie de l’Inde pour le XXI e siècle, (Economica, 2000) et « Le risque voyage » (Harmattan, 2005).

   
         

 

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