Alliance du Pacifique

Sommet de Puerto Varas : vers une Amérique latine unie dans le libéralisme ?

Par Lucas FAVRE, le 25 octobre 2016  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Etudiant en Master Histoire militaire comparée, géostratégie, défense et sécurité à l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix-en-Provence. Passé par l’Université Nationale de La Plata (Argentine).

En quoi le XIème sommet de l’Alliance du Pacifique s’insère-t-il dans un processus de redéfinition des stratégies des acteurs quant aux projets d’intégration du sous-continent latino-américain ? Lucas Favre revient dans un premier temps sur les dynamiques et tentatives d’intégration régionales depuis le début des années 2000. Puis, il précise les importants changements survenus depuis le second semestre de l’année 2015. Enfin, il se penche sur les perspectives qu’offrent ces changements ainsi que sur les interrogations qu’ils soulèvent.

LE XIème sommet de l’Alliance du Pacifique (AP) s’est tenu du 28 juin au 1er juillet 2016 à Puerto Varas (Chili). Fondée en 2011 par le Mexique, le Chili, la Colombie et le Pérou, cette organisation s’était construite sur un constat d’impossibilité de la vieille idée de l’intégration latino-américaine. Or la conjoncture de l’année 2015 et le déroulement du sommet révèlent des bouleversements régionaux qui redessinent en effet la géopolitique du sous-continent. Le virage libéral de l’Argentine est le principal élément allant en ce sens. La destitution en cours de la présidente brésilienne Dilma Rousseff ou la crise du bolivarisme en sont deux autres, plus incertains.

Le cœur du sujet est la façon dont cet espace entend réagir à la globalisation. Comme par le passé, la définition de l’espace à intégrer (Amérique, Amérique Latine ou Amérique du Sud ?) est au centre des stratégies et des rapports de force. Il en est de même pour le mode d’intégration choisi (libre-échange ou volontarisme interétatique ?). Un point important à noter dès maintenant est que les divers projets d’intégration latino-américains se cantonnent à l’intégration économique. En effet, les Etats latino-américains défendent encore très fermement leur souveraineté nationale. Enfin, il y a en Amérique Latine des initiatives d’intégration que nous n’évoquerons pas (ALBA, CELAC, Pacte Andin). C’est que leur vocation infra régionale les rend secondaires dans l’échelle continentale qui nous intéresse et le format qui est ici le nôtre.

En quoi le XIème sommet de l’Alliance du Pacifique s’insère-t-il dans un processus de redéfinition des stratégies des acteurs quant aux projets d’intégration du sous-continent ?

Il est nécessaire de revenir dans un premier temps sur les dynamiques et tentatives d’intégration régionales depuis le début des années 2000 (I). Nous reviendrons ensuite sur les importants changements survenus depuis le second semestre de l’année 2015 et qu’est venu confirmer le sommet (II). Enfin, il faudra nous pencher sur les perspectives qu’offrent ces changements ainsi que sur les interrogations qu’ils soulèvent (III).

I. Les tentatives d’intégration régionale depuis les années 2000

Le début des années 2000 s’ouvre sur l’échec important de la Zone de Libre-Echange des Amériques (ZLEA). Les Etats-Unis ont alors déjà réalisé une zone de libre-échange avec le Mexique et le Canada en 1994 avec l’Accord de Libre-Echange Nord-Américain (ALENA). Ils entendent bien l’étendre à l’ensemble du continent américain, qu’ils considèrent depuis près de deux siècles comme leur « pré carré ». Le contexte latino-américain des années 1990, dominé par le néolibéralisme, laisse longtemps présager d’une facile conclusion de cet accord. Mais le basculement d’une majeure partie de la région au centre-gauche ou à gauche remet en cause cet optimisme. En 2003, les pays du Marché Commun du Sud (MERCOSUR) sont conduits par le Brésil de Luis Inácio Lula da Silva [1] et l’Argentine de Néstor Kirchner. Ils exigent alors comme condition à cet accord la fin des subventions agricoles que versent les Etats-Unis à leur agriculture. Cette condition est inacceptable pour Washington ; l’accord est enterré.

S’inscrivant dans la démarche que porte le G23 à Cancún [2], Buenos Aires et Brasilia reprennent ainsi l’initiative dans le dessin des projets d’intégration en Amérique Latine. Deux présidents de centre-gauche, deux présidents fraîchement élus (Lula a assumé ses fonctions le 1er janvier 2003, Kirchner le 25 mai 2003). Deux pays dotés d’une agriculture puissante, et qui bénéficient donc de la hausse des prix des matières premières. Deux pays qui, malgré le néolibéralisme effréné des années 1990, restent des pays de tradition interventionniste et protectionniste. Et deux pays qui sont les deux grandes puissances de l’Amérique du Sud – le Brésil dominant lui-même clairement l’Argentine.

Poussés par leur dynamique, Lula et Kirchner se saisissent du MERCOSUR. Fondée en 1991 par le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay, cette simple zone d’intégration douanière et économique prend un sens politique. Sans jamais, cependant, donner lieu à quelque forme de supranationalité. Sur le plan politique, le Venezuela d’Hugo Chávez intègre l’organisation en 2006, et un discours axé sur les rapports Sud-Sud est mis en place. Sur le plan économique, des politiques étatiques et interétatiques volontaristes entendent intégrer les économies des Etats membres. Le but est d’industrialiser l’espace tout en l’intégrant, afin d’assurer un développement mutuel et sans asymétrie. L’objectif d’intégration est un succès, comme le montre le cas argentino-brésilien qui voit les deux pays intégrer fortement leurs économies, notamment l’industrie automobile. De 2003 à 2012 l’Argentine augmente de 272% les échanges commerciaux avec le Brésil contre 241% pour le reste du monde. Brasilia absorbe en 2012 20,3% des exportations argentines. Mais l’asymétrie est aussi au rendez-vous, le Brésil dégageant des excédents commerciaux envers tous ses partenaires du MERCOSUR.

La création de l’Union des Nations Sud-américaines (UNASUR) vient confirmer une dimension fondamentale du tournant opéré par Lula et Kirchner : on parle désormais d’ « Amérique du Sud  ». Plus d’Amérique, évidemment. Mais, plus curieux, on ne parle plus non plus d’Amérique latine. Le panaméricanisme au sens large avait été dénoncé dès le congrès de Panamá (1826) par Simón Bolívar comme un avatar du colonialisme. Mais l’identité de rechange avait été dès lors l’identité latino-américaine, contre les anglo-saxons protestants du nord du Río Grande. Cette réduction de l’espace visé a sa cible désignée : le Mexique. Trop « nord-américain » et trop néolibéral, comme le montrerait la signature de l’ALENA. Mais aussi seule puissance latino-américaine à pouvoir (peut-être) rivaliser avec le Brésil. Son éviction assure à Brasilia un rôle de leader régional incontesté ; à Buenos Aires une confortable « deuxième place ».

Le groupe créé autour du Brésil cherche alors explicitement à se dégager de la domination des Etats-Unis. Convaincus désormais de la nécessité de passer par des voies légales pour préserver leur influence, ceux-ci redessinent leur stratégie latino-américaine. Ils entendent miser sur ce qui a déjà fonctionné au Mexique : le libre-échange. Plusieurs accords commerciaux sont signés par Washington : Colombie, Pérou, Chili notamment. Et c’est avec leur soutien appuyé que ces trois Etats s’associeront au Mexique pour fonder, en 2011, l’Alliance du Pacifique (AP). L’adéquation des grandes lignes de cette dernière avec les objectifs latino-américains des Etats-Unis est remarquable. Sur le plan économique, l’accent est mis sur la baisse des barrières douanières (tarifaires et non tarifaires) et la liberté de mouvements des capitaux. Sur le plan politique, on rejoint la rhétorique développée par la bannière étoilée dans l’Amérique latine post-Guerre Froide. Sont donc invoqués droits de l’homme, démocratie libérale et lutte contre les narcotrafics.

L’opposition MERCOSUR/AP qui s’installe alors est ainsi avant tout politique. Cette opposition s’installe d’autant plus facilement qu’elle reprend une dichotomie qui traverse le XXème siècle latino-américain. Il s’agit de celle entre « croissance vers l’extérieur » tirée par les exportations et les investissements étrangers, et développement interne (croissance du marché interne, industrialisation par substitution des importations, etc.). Du point de vue économique et commercial, cette opposition est très atténuée, de nombreux accords liant entre eux des pays des deux blocs. Ainsi, si de 2000 à 2013 les exportations brésiliennes envers l’ensemble des pays sud-américains ont augmenté de 370%, celles en direction des pays sud-américains de l’AP ont pour leur part bondi de 474%.

Cette opposition, et partant la fragmentation des espaces latino et sud américains, n’a ainsi pas de vraie dimension économique. Elle est tout d’abord politique : pays tournés vers le Sud d’une part, vers les Etats-Unis de l’autre. Elle est aussi géopolitique, avec la présence de deux acteurs pouvant prétendre au leadership : Brésil et Mexique.

II. Le XIème sommet de l’Alliance du Pacifique : une sanction des mutations récentes

Or cette fragmentation politique s’est vue remise en cause avec les évolutions engagées depuis novembre 2015. L’heure semble en effet venue du retour d’un fort libéralisme économique dans les pays du MERCOSUR. Et le sommet de Puerto Varas est venu, discrètement mais sûrement, confirmer la portée qu’auront probablement ces mutations sur l’ordre géopolitique du sous-continent.

L’évènement clé est le virage de l’Argentine avec l’arrivée au pouvoir Mauricio Macri, élu président le 22 novembre 2015 à la tête d’une coalition réalisée autour d’un programme de centre-droit. L’identité politique du MERCOSUR fixée au début des années 2000 connaissait ainsi sa première altération (voir encadré en pied de page). La nouvelle politique extérieure de l’Argentine est désormais très libérale en général et attirée par l’AP en particulier. Cela rebat d’autant plus les cartes régionales que le leader habituel du sous-continent (le Brésil) est actuellement dans la tourmente.

La procédure de destitution enclenchée contre la présidente brésilienne Dilma Rousseff a en effet porté au Parti des Travailleurs (PT) [3] un coup qui pourrait lui être fatal. Le pouvoir est exercé, depuis le 12 mai 2016, par le vice-président Michel Temer, issu du centriste Parti du Mouvement Démocratique Brésilien. Le PT est ainsi écarté du palais présidentiel pour la première fois depuis 2003 [4]. Même si les accusations de corruption à l’origine de la procédure lancée contre Dilma Rousseff se sont depuis étendues à l’ensemble de la classe politique brésilienne, la popularité du PT semble très affectée. L’état d’impréparation pour les Jeux de Rio de l’été 2016 et la honte qu’elle inspire aux Brésiliens n’améliorent pas sa popularité. Ce ressentiment au sujet des JO est d’autant plus vif que la candidature à leur organisation date de 2008, et avait donc été voulue par ce même parti.

A court terme, en dégradant l’image du Brésil sur la scène internationale, ces troubles donnent à Macri un leadership provisoire dans le MERCOSUR. Son élection récente lui assure une légitimité démocratique forte à l’international. Le gouvernement en place à Buenos Aires tirerait ainsi profit d’une solidité institutionnelle qui dépasse très loin celle du Brésil. A moyen et long terme, la crise brésilienne peut laisser présager un virage du pays au centre-droit. L’ère Kirchner-Lula ne serait alors plus qu’une époque révolue, permettant à Macri de poursuivre son œuvre.

A la crise du PT brésilien vient s’ajouter celle du bolivarisme andin. Elle est particulièrement marquée au Venezuela, où le gouvernement de Nicolás Maduro [5] paraît désarmé face à la puissante crise politique et économique qui frappe le pays. Déjà élu difficilement (50,6% des voix), il perd les élections législatives 2015 – première défaite électorale du chavisme. Confronté à un Congrès aux mains de ses opposants, dépourvu de l’aura de son prédécesseur, il semble de moins en moins en mesure de redresser la situation. Les appels au référendum révocatoires se sont multipliés, émanant parfois même d’anciens ministres du président défunt. La procédure est désormais bien avancée, seule manque l’ultime étape de vérification par la Commission Nationale Electorale. Caracas a aussi dû subir de fortes accusations au sein de l’Organisation des Etats Américains (OEA).

En Bolivie, Evo Morales n’a pas pu obtenir la réforme constitutionnelle qui lui aurait permis de se présenter à nouveau. Il devrait donc quitter le pouvoir en 2020, mais a surtout perdu une consultation électorale pour la première fois depuis son élection en 2005. En Equateur, Rafael Correa a déjà annoncé qu’il ne se représentera pas en 2017, et traverse des difficultés économiques.

Cette crise du PT et du bolivarisme semble s’inscrire dans une dynamique qui, partant de la mort de Chávez et passant par l’élection de Macri, ramènerait le MERCOSUR vers le libéralisme. Très présente dans les esprits, cette idée permet notamment d’expliquer l’agressivité de Macri dans la crise vénézuélienne – du moins jusqu’à ce que ne vienne le tempérer sa chancellerie. Elle est aussi à l’origine de l’optimisme renouvelé des libéraux latino-américains, longtemps décrédibilisés pour leur peu enviable bilan.

Les chefs d’Etat de l’AP font le même calcul. En cohérence avec leur stratégie économique, ils entendent donc s’ouvrir le plus vite possible les marchés des pays du MERCOSUR. De plus, même si un relèvement du PT est improbable à court terme, il n’est pas impossible. Cela contribue peut-être au très chaleureux accueil réservé à l’Argentine, à la volonté d’aller très vite dans le rapprochement AP/MERCOSUR. Un éventuel nouveau président brésilien issu du PT aura en effet d’autant plus de mal à renverser la tendance si celle-ci est plus fortement engagée.

III. Perspectives et interrogations

Dans cette perspective qui se dessine d’un retour du bloc MERSOSUR vers le libéralisme, le destin de Brasilia est central. Certes discrédité, le PT n’est peut-être pas mort. Le désaveu qu’il avait subi de la part des classes moyennes en 2014 n’avait pas empêché Dilma Rousseff d’être réélue en 2014 – certes de justesse. Ces élections avaient d’ailleurs montré la mutation de la base électorale du PT. Il est désormais puissant dans le très pauvre et rural Nordeste. Or l’actuelle levée de boucliers contre la corruption du parti de Lula est elle aussi avant tout le fait des classes moyennes du sud du pays. La question est : le PT a-t-il encore vraiment besoin d’elles pour conserver le pouvoir ?

La même interrogation pèse sur la profondeur de la crise du bolivarisme, au Venezuela notamment. La défaite de 2015 est en effet davantage liée à l’abstention d’un électorat chaviste lassé de la bureaucratie du parti qu’à une augmentation des voix de l’opposition. De plus, l’inaction de cette dernière depuis le Congrès contre la crise tend à ramener nombre d’électeurs vers le PSUV [6].

Ces incertitudes posées, reste la perspective qu’offrent a priori les évènements récents dans le sous-continent : la disparition de l’antagonisme politique opposant MERCOSUR et AP. Cette perspective est importante car elle est celle de beaucoup des acteurs, notamment des présidents des pays de l’AP ou de Mauricio Macri. C’est en effet sur la base de cette idée que celui-ci peut envisager la convergence – avec à terme la fusion – des deux organisations. Convergence qu’il ne cesse de prêcher, notamment lorsqu’il visite ou reçoit un des présidents des pays de l’AP. Cette convergence s’inscrit de plus dans son projet global d’ouverture économique maximale pour son pays.

Reste cependant à préciser les modalités de cette convergence économique que tous appellent de leurs vœux sans jamais en préciser la teneur ou les limites.

La teneur : total libre-échange de l’AP ou marges accordées par le MERCOSUR au protectionnisme industriel ? Quid du Fonds pour la convergence structurelle du MERCOSUR (FOCEM) ? La très libérale AP accepterait-elle le maintien d’un tel mécanisme de compensation des déséquilibres commerciaux internes, donc une intervention politique dans l’économie ? Sinon, Buenos Aires et Brasilia pourront-ils forcer la main au Paraguay et à l’Uruguay, qui placent le renforcement du FOCEM au centre de leurs préoccupations ? Et d’ailleurs, le voudront-ils ? En bref : le basculement du MERCOSUR de l’interventionnisme vers le libéralisme est-il assez profond pour faire disparaître les divergences avec la stratégie de l’AP ? Cette question est d’autant plus brûlante qu’elle n’est jamais abordée. Tous les acteurs parlent certes d’ « intégration économique », d’ « augmentation des échanges commerciaux ». Mais personne n’évoque vraiment les normes concrètes qui viendraient asseoir cette politique.

Il en est de même pour la seconde grande inconnue, à savoir les limites : quel espace d’intégration ? Dans le cas où se confirmerait la dynamique qu’aurait initiée Mauricio Macri, celle-ci devrait mener à une union entre AP et MERCOSUR. Sans même considérer la question des pays qui n’appartiennent à aucune des deux organisations, on voit bien que l’on retournerait à un espace qui serait latino-américain . Deux questions se poseraient alors.

Tout d’abord : cet espace pourrait-il même devenir américain, en intégrant également Canada et surtout Etats-Unis ? Premièrement, étant donné l’ALENA, un accord de libre-échange avec le Mexique revient indirectement à pratiquer le libre-échange avec les Etats-Unis. Pourquoi donc ne pas le faire directement ? De plus, les pays du MERCOSUR (Argentine et Brésil avant tout) semblent avoir pris conscience du danger que représentent les relations déséquilibrées qu’ils développent désormais avec la Chine. L’ironie est que le renforcement des liens commerciaux avec Pékin découlait directement d’une volonté d’indépendance vis-à-vis de Washington. Ces échanges ont notamment causé une « reprimarisation » des économies argentine et surtout brésilienne. Ils ont aussi engendré une dangereuse asymétrie qui se retraduit en termes politiques, et empêchent ces Etats d’avoir la politique de développement interne qu’ils souhaitent – ou en tout cas souhaitaient – avoir. Ainsi, quand bien même l’industrie ferroviaire est l’une des activités historiques en Argentine, la rénovation des trains de l’agglomération de Buenos Aires a du se réaliser par l’achat de trains… chinois, suite aux fortes pressions de Pékin en ce sens. La volonté de Macri d’ouvrir également les échanges avec l’UE ou les pays du Pacifique peut aussi être lue dans cette optique d’émancipation face à « l’ogre chinois ». Cependant, la pierre d’achoppement à l’origine de l’échec de l’ALENA demeure, à savoir les subventions agricoles états-uniennes. Le poids de l’industrie agroalimentaire en Argentine comme au Brésil empêche tout accord sans leur suppression, ou du moins leur réduction drastique. Or ni Hillary Clinton ni Donald Trump n’envisagent de toucher à ces subventions. Un réel accord continental semble donc improbable, même si l’imprécision du programme du candidat républicain et ses non négligeables chances de succès conduisent à rester prudent.

Un dernier point soulevé par le retour à la dimension latino-américaine est celle du leadership de la zone : Brésil ou Mexique ? Brasilia dispose d’un avantage diplomatique certain. Elle est dotée de diplomates de haute volée, est bien en cour auprès du Nord tout en restant un des chefs de file du Sud. Son action saluée à la tête de la mission onusienne en Haïti est venue confirmer son rôle dans la sécurité du continent. Mais le Mexique – dont les dirigeants semblent depuis longtemps ne penser la puissance qu’en termes économiques – paraît penser pouvoir la défier par l’économie. Le Brésil traverse en effet une crise profonde et reste dépendant de ses matières premières, alors que Mexico confirme son statut de « pays atelier » des Etats-Unis. Le Brésil représente cependant le 7ème PIB (PPA) [7] mondial, le Mexique n’arrivant que 11ème. Surtout, ce dernier souffre d’une profonde dépendance à l’égard de Washington – sans commune mesure avec celle en train de naître au Brésil vis-à-vis de Pékin. Un pays si fortement dominé, qui plus est par les Etats-Unis, a très peu de chances (voire aucune) de pouvoir prétendre être le leader politique de l’Amérique Latine. Quand bien même il deviendrait la locomotive économique des pays au sud du Río Grande – chose par ailleurs très improbable.

Si la dynamique de virage du MERCOSUR au centre-droit que Macri aurait enclenchée venait à se confirmer, la géopolitique de l’Amérique Latine serait profondément redessinée. La fragmentation politique entre MERCOSUR et AP disparaîtrait, et l’on reviendrait à un horizon latino-américain d’intégration. Un retour au projet américain d’intégration demeure quant à lui improbable, même s’il ne paraît plus rigoureusement impossible en l’état. Cet espace latino-américain aurait presque nécessairement pour chef de file et représentant international le Brésil. Il serait marqué par un large consensus autour du libéralisme économique, mais la définition du degré de libéralisme à mettre en œuvre va probablement s’avérer problématique. Enfin, ce (relatif) retour vers les Etats-Unis de la part de Brasilia et Buenos Aires est sûrement motivé, dans une certaine mesure, par les dangereuses conséquences de leur relation croissante avec Pékin.

Le sort du Brésil reste cependant une des grandes inconnues, le PT n’étant peut-être pas aussi fragilisé qu’il n’y paraît - tout comme le chavisme au Venezuela.

Manuscrit clos en août 2016

Copyright Octobre 2016-Favre/Diploweb


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L’ARGENTINE DE MAURICIO MACRI : “VOLVER AL MUNDO”

L’élection de Macri lors des présidentielles argentines de 2015 rebat profondément les cartes, en venant sanctionner la déréliction finale du kirchnérisme [8]. Au plan national, la défaite est en effet cinglante. Le kirchnérisme a ainsi perdu la province de Buenos Aires, qui concentre plus du tiers de la population nationale. Or il est l’héritier « officiel » du péronisme, mouvement dont cette province est le berceau, et où, jusqu’à cette année 2015, il n’avait jamais été battu lors d’élections libres [9]. Ce symbole a été perçu puissamment en Argentine, tant cette province était considérée comme absolument « ingagnable » par un non-péroniste.

A l’international, la situation peut être bouleversée par le changement radical apporté dans la politique extérieure. Au très kirchnériste et politisé Ministre des Affaires Extérieures Héctor Timerman succède ainsi Susana Malcorra. Cette ancienne dirigeante d’entreprise de haute volée fut directrice de cabinet du Secrétaire Général de l’ONU Ban Ki-Moon de 2012 à 2015. Ce choix beaucoup plus diplomatique – à tous les sens du terme – s’accorde parfaitement avec l’objectif international central de Mauricio Macri : « volver al mundo » (« revenir au monde »). Il s’agit de rompre avec la rhétorique anti-impérialiste de l’ère Kirchner, de sortir de la contestation des rapports Nord-Sud pour revenir à des « relations matures » avec l’ensemble du monde.

Cette volonté s’articule avec la politique interne du gouvernement, et plus particulièrement sa stratégie économique. Confronté à une crise de la balance commerciale et surtout du peso argentin, celui-ci entend s’appuyer sur le levier économique traditionnel de la droite libérale latino-américaine : les investissements étrangers. Ceux-ci sont au cœur du plan économique de Mauricio Macri, qui répond aux critiques que génèrent la situation difficile du pays en assurant que ses mesures attireront ces investisseurs, et donc résorberont grandement ces difficultés. C’est un point important de convergence avec les pays de l’Alliance du Pacifique, qui font eux aussi des investissements étrangers la clé du développement.

Dans cette optique, Mauricio Macri a multiplié avant, pendant et après le sommet les déclarations favorables à la conclusion du maximum d’accords de libre-échange possible. Il a ainsi affirmé et réaffirmé à plusieurs reprises depuis son élection son désir de voir AP et MERCOSUR se rapprocher et œuvrer à leur intégration économique. De plus, l’Argentine a sollicité et obtenu le statut d’Etat observateur. Ceci dans l’intention affirmée et très bien accueillie d’intégrer le plus vite possible l’Alliance. Macri poursuit également de manière soutenue (et personnellement) des négociations commerciales bilatérales avec les quatre pays membres. C’est donc logiquement que le sommet de Puerto Varas l’a vu se faire saluer à plusieurs reprises chaleureusement par ses homologues mexicain, chilien, colombien et péruvien. Dire qu’il fut la star du sommet ne serait pas exagéré.
En parallèle, Macri ne cesse de demander une reprise des projets d’accords de ce type entre Union européenne et MERCOSUR. Ainsi, à peine clôturé le sommet de Puerto Varas, il se précipitait à Paris puis Berlin pour aborder ce sujet avec François Hollande puis Angela Merkel. Cette dernière s’est d’ailleurs félicitée publiquement des initiatives de Buenos Aires dans ce domaine. Il affirme regarder également avec beaucoup d’intérêt le projet en cours de traité de libre-échange transpacifique.

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[1Plus connu sous le simple nom de « Lula »

[2Constitué autour de la Chine, de l’Inde et du Brésil lors du sommet de l’OMC à Cancún (2003), le G23 entend faire pendant au G8. Il eut pour grand motif de constitution la redéfinition des règles commerciales de l’OMC. Les subventions versées par les pays développés à leurs agricultures étaient particulièrement critiquées.

[3Le Partido dos Trabalhadores (Parti des Travailleurs), fondé en 1980 suite au renouveau syndical des années 1970.

[4Il l’avait occupé avec les présidences de Lula (2003-2011) puis Dilma Rousseff (2011-2016).

[5Nicolás Maduro a remporté le 14 avril 2013 les élections présidentielles provoquées par la mort du président Hugo Chávez le 5 mars 2013 (1954-2013, président de 1999 à sa mort), et après avoir assuré l’intérim en tant que vice-président.

[6Le Parti Socialiste Uni du Venezuela (PSUV), créé en 2007, regroupe l’essentiel des soutiens au chavisme.

[7PPA : à Parité de Pouvoir d’Achat, c’est-à-dire en tenant compte des valeurs réelles et non nominales des monnaies nationales. En 2013, le Brésil disposait d’un PIB (PPA) de 3012,9 milliards de dollars, le Mexique affichant pour sa part 2058,9 milliards de dollars(chiffres FMI). Cet écart ne change pour ainsi dire pas dans les estimations de 2014 et pour 2019 que fait le FMI.

[8Incarné par Néstor Kirchner (1950-2010, président de 2003 à 2007) puis son épouse Cristina Fernández de Kirchner (née en 1953, présidente de 2007 à 2015), le kirchnérisme est un courant politique de centre-gauche : progressiste sur les sujets de société, néo-keynésien en économie, proche des pays bolivariens à l’international.

[9Pratiquement indéfinissable car capable de contenir les plus fortes contradictions, le péronisme se réfère avant tout à la personne de Juan Domingo Perón (1895-1974, président de 1946 à 1955 puis de 1973 à 1974). Celui-ci, issus des rangs de l’armée, parvient au pouvoir par les relations privilégiées qu’il parvient à nouer avec les puissants syndicats argentins en tant que Secrétaire au Travail. Elu en 1946 et réélu en 1951, il mène une politique sociale avancée, une politique économique protectionniste et une politique extérieure nationaliste. De plus en plus autoritaire et idéologue, il perd notamment le soutien de l’Eglise et de l’armée et est chassé du pouvoir par un coup d’Etat civilo-militaire en 1955. Revenu d’exil en 1972, il accède à nouveau à la présidence en 1973 mais meurt dès 1974, dépassé par l’éclatement de ses partisans qui sont alors déchirés par un conflit ouvert et armé entre aile droite et aile gauche.


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