Jean Leonetti : "Il faut rendre l’Europe populaire pour qu’elle ne devienne pas populiste"

Par Jean LEONETTI, Touteleurope.eu, le 13 janvier 2012  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Ministre auprès du ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et européennes, chargé des Affaires européennes, depuis juin 2011

Touteleurope.eu propose un entretien exclusif avec Jean Leonetti, Ministre chargé des Affaires européennes. L’occasion de revenir avec lui sur les grands dossiers dont il a eu la charge depuis sa prise de fonction en juin 2011, la question du nouveau traité comme solution à la crise de la dette en Europe, sa réaction aux propos du candidat François Hollande sur ce traité, les grands dossiers à venir (et notamment les négociations autour des futures perspectives financières), la présidence danoise, ou encore les solutions pour rapprocher l’Europe du citoyen français.

Dans le cadre de son partenariat avec Touteleurope.eu, le Diploweb.com est heureux de vous présenter cet entretien.

Touteleurope.eu : Quels ont été les grands dossiers dont vous avez eu la charge depuis votre prise de fonction en juin 2011 ?

Jean Leonetti : C’est une belle mission, exaltante, difficile. Bien sûr, la première chose à laquelle on pense c’est la dette, et la crise. Le Ministre des Affaires européennes prépare les Conseils européens au cours desquels les chefs d’Etat et de gouvernement prennent les décisions qui ont été étayées ces six derniers mois.

Mais il y a d’autres sujets ! Celui des perspectives financières par exemple, avec la question de savoir comment l’Europe va dépenser mieux, sans dépenser plus, d’ici 2020. Celui du brevet européen : aujourd’hui il n’y a pas de brevet européen. Pour breveter une invention européenne, il faut dans chaque pays suivre une procédure complexe et coûteuse. Nous sommes en train d’aboutir sur ce dossier. Et puis, même si cela n’est pas au coeur de l’actualité nationale, il y a le problème des Balkans occidentaux.

La Croatie va rentrer dans l’Europe, après un chemin long et exigeant, mais avec une perspective européenne qui donne à cette zone, qui il y a 20 ans, on l’oublie parfois, était en proie à une guerre d’une rare violence, qui apporte la paix. Et l’Europe continue, comme elle l’a fait au tout début entre la France et l’Allemagne, à apporter la paix sur le continent européen.

Touteleurope.eu : Sur cette question des Balkans occidentaux, où en est le dossier serbe ?

Jean Leonetti : Je pense que le chemin est encore long pour la Serbie. Mais je suis persuadé que s’il n’y avait pas dans cette zone du monde et de l’Europe, en particulier en Serbie, une perspective européenne, il y aurait très probablement une exacerbation des conflits.

Touteleurope.eu : Que pensez-vous de la décision prise le 9 décembre dernier par le Conseil européen, sous l’impulsion franco-allemande, de doter l’Europe d’un nouveau traité pour sortir de la crise ?

Jean Leonetti : La France et l’Allemagne constituent, comme par le passé et peut-être même plus qu’avant, le moteur indispensable pour faire avancer l’Europe. Que dirait-on si la chancelière allemande et le président de la République française restaient inactifs dans une situation pareille ? Leur rôle est un rôle de moteur et d’entrainement, et on l’a vu d’ailleurs avec l’accord du 9 décembre.

Celui-ci est un accord intelligent, car il allie deux moyens au service d’un objectif. Les deux moyens sont d’abord la discipline budgétaire : on voit combien elle a fait défaut, pénalisant, au travers de la dette souveraine, l’Union européenne et les Etats membres. Ensuite, la solidarité, avec le mécanisme européen de solidarité, qui fera suite au fonds européen de stabilité financière, et qui permet d’être solidaire vis-à-vis des pays en difficulté. Mais vous voyez bien que s’il n’y a pas la discipline il ne peut y avoir la solidarité, et s’il n’y a que la solidarité sans la discipline on peut aboutir à des situations difficiles. Quant à l’objectif, c’est toujours le même : la compétitivité, la croissance et l’emploi, faire en sorte que cette situation au niveau européen puisse évoluer positivement.

Alors pourquoi un traité ? Peut-être d’abord parce que par le passé nous avons pris beaucoup de décisions qui n’ont pas toujours été suivies. Souvenons-nous du Pacte de stabilité et de croissance, dont la France, l’Allemagne et beaucoup d’autres pays se sont affranchis. Aujourd’hui il y a une nécessité de passer une étape supplémentaire, qui implique que cette solidarité s’appuie sur une discipline commune, et que cette discipline commune doit être inscrite dans les traités. Je pense que c’est un pas supplémentaire vers l’intégration et vers une gouvernance économique européenne qui est nécessaire. On a fait l’euro sans gouvernance économique européenne, rattrapons ce retard à l’occasion de la crise.

Touteleurope.eu : Le refus de la Grande-Bretagne d’adopter ce nouveau traité ne va-t-il pas avoir des conséquences sur l’accord ?

Jean Leonetti : Il est toujours important de continuer à dialoguer. Et je constate que malgré le refus de la Grande-Bretagne, qui est une décision souveraine que l’on respecte, deux éléments apparaissent : d’abord, la Grande-Bretagne continue à participer en tant qu’observateur, ce qui signifie que sa participation est acquise et que, même si elle ne veut pas rentrer dans l’euro, même si elle ne souhaite pas aller vers plus d’intégration, elle continue à participer à la construction européenne et c’est un élément positif.

Le deuxième élément est de savoir s’il y a une Europe à deux vitesses. La réponse est oui, depuis Maastricht il y a une Europe à deux vitesses, celle qui est dans la zone euro et celle qui n’y est pas. Et dans cette Europe qui n’est pas dans la zone euro, il y a encore une différence entre ceux qui veulent un jour rentrer dans la zone euro, je prends ici l’exemple évident de la présidence polonaise qui a réaffirmé pendant six mois qu’elle voulait un jour intégrer la zone euro, et une autre vision de l’Europe, celle des Britanniques qui disent "on veut moins d’Europe, on ne veut pas d’une régulation des marchés financiers, et on ne veut pas de l’euro". Et nous, nous disons "on veut plus d’Europe, on veut une régulation des marchés financiers, et on veut renforcer la zone euro".

Donc on voit bien que l’on peut continuer à dialoguer mais qu’il y a tout de même deux visions de l’Europe : une Europe plus intégrée, autour de la zone euro, et l’Europe du marché intérieur, avec laquelle on continuera à dialoguer, mais qui n’est pas une Europe intégrée.

Touteleurope.eu : Pensez-vous que le nouveau traité sera prêt en mars comme prévu ? Comment sera-t-il ratifié, en France et dans les autres Etats membres ?

Jean Leonetti : Le délai est court d’ici mars ! Et pourtant la crise nous impose d’aller aussi vite que les dangers qui nous menacent. C’est la raison pour laquelle nous avons déjà aujourd’hui une ébauche de traité sur la table. On devrait très probablement aboutir à un traité finalisé d’ici la fin du mois de janvier. On pourrait donc envisager une signature en mars avec, ensuite, l’étape parlementaire de ratification et le contrôle du Conseil constitutionnel.

Bien sûr il y a des étapes, nous sommes dans des démocraties. Chaque pays doit, en fonction de son organisation et de ses règles juridiques, faire en sorte que les représentants du peuple approuvent ce traité. En France il n’y a pas besoin d’un référendum, pour autant nous devons être extrêmement prudents et rapides. Pour une fois nous allons faire avancer l’Europe avec beaucoup de détermination et beaucoup de rapidité en même temps.

Touteleurope.eu : François Hollande a déclaré que s’il était élu il renégocierait ce traité. Comment réagissez-vous à ces propos ?

Jean Leonetti : Nous sommes en période électorale, donc en période des promesses ou des critiques quelques fois abusives. On voit bien qu’il y a dans cette phrase du candidat socialiste une certaine arrogance : quand on négocie à 27 ce n’est pas la France seule qui décide. Je constate aussi une grande inexpérience face à ce genre de situations sur le plan européen, mais aussi de la procédure qui aboutit à un accord. L’accord est toujours complexe, c’est un débat entre le moteur franco-allemand, toujours présent au départ, et l’adhésion d’autres pays.

Quand, comme dans l’accord du 9 décembre, vous avez 26 pays sur 27 qui donnent leur accord pour aller dans le sens des orientations de la lettre franco-allemande, il me parait illusoire d’envisager une renégociation. Donc cela montre un peu d’inconséquence, d’irréalisme et pour tout dire d’inexpérience du candidat socialiste.

Touteleurope.eu : Quelles positions défendra la France dans les négociations sur les futures perspectives financières de l’Union européenne ?

Jean Leonetti : Il y a plusieurs idées sur les perspectives financières. Aujourd’hui nous disons de manière un peu simple, je dirais même presque simpliste, "ne dépensons pas plus, dépensons mieux". Cela signifie dépenser en gardant à l’esprit que toute dépense européenne, au moment où les Etats membres ont été, sont ou seront contraints à des disciplines budgétaires fortes, doit avoir l’obsession de la croissance et de l’emploi, et donc de la compétitivité.

Il faut donc tout orienter vers le marché unique, qu’a mis en place le commissaire français Michel Barnier, et l’appliquer pleinement pour donner toute cette dimension de 500 millions de consommateurs au sein de l’Union européenne. Le deuxième point c’est réindustrialiser l’Europe, et là le président de la République l’a bien expliqué dans son discours de Toulon : "mon adversaire, mon concurrent, ce n’est pas mon voisin européen, c’est la compétitivité mondiale", et il faut que l’Europe, au coeur de ce débat, soit capable de réindustrialiser et en même temps d’imposer la réciprocité. Soyons clair, la réciprocité pour l’Europe ce n’est pas le protectionnisme, c’est simplement se demander pourquoi la Chine n’est-elle pénétrée que de 1% par les marchés européens ? Pourquoi on a tant de difficulté à pénétrer les marchés du Japon et des Etats-Unis ?

La réciprocité c’est de dire "oui, nous voulons être compétitifs, dans un monde ouvert, mais nous voulons que la concurrence soit loyale". Cette concurrence doit être loyale pour les marchés extérieurs qui viennent en Europe, mais également pour les marchés européens qui vont vers l’extérieur.

Touteleurope.eu : Qu’attendez-vous de la présidence danoise du Conseil de l’Union européenne ? Comment allez-vous travailler avec elle ?

Jean Leonetti : Dès que le nouveau gouvernement danois a été élu et nommé je suis allé rencontrer mes homologues danois, et j’ai constaté que nous avions une convergence de vues sur un grand nombre de points. D’abord sur les perspectives financières ils sont d’avis, comme nous, de ne pas dépenser plus, mais mieux au niveau européen, et donc c’est un point positif pour la présidence danoise.

Ils veulent ensuite mettre l’accent de leur présidence sur le développement durable : tant mieux ! La France a accompli des progrès considérables depuis le Grenelle de l’environnement, elle s’est battue aussi pour faire en sorte que Durban ne soit pas un échec, que les émissions de gaz à effets de serre (GES) soient diminuées. Mais l’Europe ne produit que 11 à 12% des GES. Nous devons donc être capables d’entraîner les autres pays dans le monde : le Canada, les Etats-Unis, la Chine... Nous comptons donc sur la présidence danoise et nous la soutiendrons dans son combat pour le développement durable et pour le respect de l’environnement.

Touteleurope.eu : Comment rapprocher l’Europe des citoyens français notamment dans la perspective des élections européennes de 2014 ?

Jean Leonetti : C’est vrai que notre expérience européenne ne nous permet pas de dire qu’il y a eu un enthousiasme européen autour de l’Europe. On peut même se souvenir qu’en 2005 il y a eu un référendum perdu sur l’Europe. Cela veut dire qu’il faut rendre l’Europe populaire pour qu’elle ne devienne pas populiste.

Et pour la rendre populaire, et bien les événements qui sont aujourd’hui des événements angoissants, avec la crise, sont aussi des événements qui nous font comprendre combien l’Europe doit être non pas le problème mais la solution. Et combien le chômage, le pouvoir d’achat, la compétitivité, l’emploi... sont des éléments qui ont des solutions européennes, qui doivent passer par des solutions européennes.

C’est la raison pour laquelle on dit souvent que l’Europe avance par crises. Et bien cette crise elle peut nous donner un peu plus de lucidité et de conviction européennes, et je suis persuadé qu’aucun candidat à l’élection présidentielle n’éludera le problème européen, et qu’en 2014 les Français auront compris que l’Europe est notre destin commun, et que c’est par elle que passe la protection de notre modèle social, mais aussi la défense de nos valeurs républicaines, de la démocratie et de la liberté.

Copyright Janvier 2012-Leonetti/Touteleurope.eu

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