Biélorussie : Minsk défie, Moscou s’agace, Bruxelles s’invite

Par Paul CAUSSE, le 8 décembre 2010  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Une partie complexe semble se jouer en Biélorussie, aux frontières de la Pologne, de la Lituanie... et de la Russie.

Les élections présidentielles en Biélorussie auront lieu le 19 décembre. Les principaux adversaires de A. Loukachenko seront A. Sannikov de Biélorussie européenne, le poète et écrivain V. Neklyaev, représentant du parti Dites la vérité, et le vice-président du Parti Civil Uni, Y. Romanchouk. C’est sans trop prendre de risque, que l’on peut déjà envisager la réélection du Président biélorusse actuel, A. Loukachenko. Avec, à nouveau, des accusations de fraude possibles. Au delà d’élections écrites par avance, c’est le jeu de certains pays membres de l’UE - engageant donc Bruxelles, qui surprend. L’Union européenne, aurait-elle la mémoire courte ? Elle qui, pendant une dizaine d’années exhortait Moscou de faire pression sur le régime autoritaire de Loukachenko, la voilà devenue soudainement plus affable, ou timide, à son égard, relâchant ses efforts. A croire que ses récentes frictions de la Biélorussie avec son voisin lui redonne du crédit.

A L’OCCASION de la visite du ministre russe des Affaires étrangères, Minsk et Moscou ont de nouveau démontré leur aversion mutuelle. A quelques semaines des élections présidentielles biélorusses du 19 décembre 2010, le président A. Loukachenko a refusé de rencontrer le chef de la diplomatie russe.

Maintenir coûte que coûte le contact politique malgré la crise entre les deux États. C’est ce qu’a dû se dire Moscou en envoyant son ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, en Biélorussie. Mais l’opération de reconquête semble compromise. D’après le quotidien Kommersant, le président biélorusse Alexandre Loukachenko, aurait ostensiblement refusé de rencontrer le ministre russe. S. Lavrov était à Minsk fin novembre 2010, pour assister officiellement à la session conjointe des ministères des Affaires étrangères des deux pays. Le ministre russe et sont homologue biélorusse, Sergueï Martynov devaient « examiner les questions des relations mutuelles avec l’Union européenne, les préparatifs du prochain sommet de l’OSCE », et s’entretenir « sur les grandes questions de coopération russo-biélorusse  ». Mais à Moscou, comme à Minsk, les points kiosque ne parlent que de l’affront fait à D. Medvedev : aucune rencontre entre le chef de l’État biélorusse et Lavrov. Pas besoin d’être un fin analyste pour y lire un signe fort de la part de Loukachenko, à quelques semaines des présidentielles biélorusses le 19 décembre.

Refroidissement

Des deux côtés, on s’empresse de relativiser la méprise. Le chef du service de presse du président biélorusse, Pavel Legki, a expliqué que « la rencontre entre Alexandre Loukachenko et le ministre russe des Affaires étrangères n’est pas prévue.  » Même son de cloche pour Sergueï Lavrov. « Aucune rencontre n’était prévue  ». Auparavant, le chef d’État biélorusse avait pourtant rencontré les gouverneurs régionaux de Russie à Minsk. La décision de ne pas s’entretenir avec le ministre russe est un geste démonstratif très clair. Avant son arrivée même à Minsk, le chef de la diplomatie avait pourtant déclaré que, contrairement à ses homologues occidentaux, il ne rencontrerait pas les leaders de l’opposition biélorusse. Sans réussite.

Par ailleurs, Loukachenko a également décidé de la chaleur du climat – glacial – critiquant sévèrement l’approche de Moscou dans sa coopération militaire, quelques heures seulement avant l’arrivée de Lavrov. L’addition fixée par le Kremlin serait trop salée.

Si le président biélorusse fait toujours appel à Moscou pour soutenir son armée, il se défend de dépendre des injonctions de la Russie. « On nous croit toujours pensionnaire, - a déclaré Loukachenko -. Mais les gens doivent savoir que nous ne sommes pas des parasites, et jouons même un rôle important pour assurer notre propre défense, y compris celle de la Russie. Voilà la vérité  »

Rompre l’isolement diplomatique ?

Cet «  affront  » de Loukachenko n’est pas sans rapport avec de récents entretiens entre des pays membres de l’Union européenne et le Président biélorusse lui-même. A commencer par la visite conjointe des ministres des Affaires étrangères allemand et polonais le 3 novembre 2010. Guido Westerwelle et Radosław Sikorski ont promis à Minsk de débloquer des fonds à hauteur de 2 milliards d’euros, dans le cas d’une élection transparente et équitable. « J’espère que cette élection sera meilleure que les précédentes  », a déclaré M. Sikorski au Président biélorusse. « Les élections légitimes sont plus importante pour nous que pour quiconque dans le monde », a rétorqué Loukachenko. Et au chef de la diplomatie allemande de conclure « nous considérerons l’élection démocratique comme un pas dans la bonne direction ».

En Europe, Loukachenko bénéficie également du soutien de la Lituanie et de l’Italie. La Présidente lituanienne Dalia Grybauskaité a ouvertement soutenu Loukachenko, déclarant que sa victoire garantirait la stabilité politique et économique de la Biélorussie, ainsi que son indépendance vis-à-vis du Kremlin. Toutefois, le Commissaire européen à l’élargissement et à la Politique européenne de voisinage, Štefan Füle, a réfuté cette déclaration peu après. La dernière rencontre entre Minsk et Vilnius a eu lieu en Biélorussie, le 20 octobre 2010. Les discussions ont principalement porté sur la coopération régionale au sein de l’OSCE (organisation pour la coopération et la sécurité en Europe), que la Lituanie préside en 2011.

La présidente de la Commission électorale centrale de Biélorussie, Lidia Ermochina, quant à elle, parle du "libéralisme" du Président. Tout semble donc aller pour le mieux.

D’après Yaroslav Romanchouk, du centre de recherche Mizesa [1] et candidat à la présidentielle pour le "Parti Civil Uni", cette confrontation risque d’avoir des conséquences importantes sur la Biélorussie. « La Russie n’a pas encore donné de graves sanctions à l’encontre de la Biélorussie - fait remarquer Romanchouk, [...] et l’énergie russe fournie à la Biélorussie est au prix le plus bas. [...] Si Minsk poursuit sa confrontation avec Moscou, elle sera très prochainement confrontée à une guerre commerciale très forte avec la Russie. », explique-t-il. Le discours et la personnalité de Romanchouk révèlent bien la frontière existante entre la politique étrangère et intérieure biélorusse. Membre observateur du Parti populaire européen et observateur permanent à l’Union démocrate européenne, ce politicien de 44 ans s’exprime dans le centre de recherche qu’il dirige en russe (alors que la question est toujours sujet à débat dans le pays), et considère la Russie comme partenaire inévitable. Volonté d’émancipation à l’intérieur, mais aussi des vues de politiques extérieures nuancées, à la différence de Loukachenko, pro russe il n’y a pas si longtemps.

La Biélorussie s’aventure dangereusement, car il n’est pas certain qu’elle trouve un soutien inconditionnel et collectif auprès de l’Union européenne. L’idée d’acheminer le pétrole depuis le Vénézuela semble également peu avantageuse. Finalement, Loukachenko spécule sur les rapports contradictoires entre la Russie et l’UE, alors même que la position de Bruxelles diffère de celle de ses membres. Y aurait-il un risque d’isolement et d’étiolement du régime autoritaire de Minsk, Loukachenko affaibli ?

Le directeur du Centre d’étude de l’espace post soviétique Alexeï Vlassov donne son avis. « Bruxelles applique certes des doubles standards quant à l’espace post soviétique. Le désir d’offenser la Russie pourra primer sur la volonté de l’UE de défendre les principes démocratiques auxquels les autorités biélorusses ne se conforment que partiellement. C’est moitié-moitié, comme on dit. Mais si l’on suit les propos tenus par Bruxelles, il ne faut pas s’attendre à ce que les bureaucrates européens soutiennent le leader biélorusse ». [2]

Berlusconi, égal à lui-même

L’opposition biélorusse reste critique vis à vis de la percée diplomatique opportuniste de certains pays européens. Il y a un an, Silvio Berlusconi effectuait la première visite d’un chef d’État occidental sur le sol biélorusse depuis 12 ans. Avec la grandiloquence qui le caractérise, il Cavaliere déclarait alors à Loukachenko « les gens vous aiment, ce dont témoignent les élections ». Anatoli Lebedko, leader du Parti Civique Uni, estimait que cette visite ne contribuerait pas à la promotion des valeurs démocratiques en Biélorussie. D’après cet opposant, Berlusconi venait en "homme d’affaires". « Pour lui, tout est une marchandise qui a un prix, même s’il faut pour cela sacrifier les valeurs européennes », avait-il alors ajouté.

Moscou et Minsk entretiennent fin 2010 des relations conflictuelles. La non-reconnaissance par la Bélorussie de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud en est l’exemple le plus concret. De plus, la situation s’étire dans une guerre de l’information des deux parties, des tensions économiques, et, tout simplement, par des relations personnelles tendues entre Loukachenko et le duo Poutine-Medvedev. Jusqu’à l’absurde. Les langues se délient franchement depuis la missive à l’encontre de Medvedev parue dans la Pravda... signée Loukachenko. Le chef d’État biélorusse s’indigne tour à tour du prix du gaz et de la politique intérieure russe. Une provocation à laquelle le Président russe répond publiquement, à travers son blog vidéo : « [Loukachenko doit] investiguer enfin sur les disparitions de personnes », suggère-t-il à son homologue. Inconcevable de la part de ce qui fut encore il y a peu, son seul allié de poids sur la scène internationale. Le chef du Kremlin ajoute même que « la volonté de créer dans la conscience collective une image d’un ennemi extérieur était toujours propre au pouvoir biélorusse. S’il s’agissait auparavant de l’Amérique, de l’Europe et de l’Occident en général, aujourd’hui c’est la Russie qui est proclamée l’un des ennemis principaux ». Le ton est sensiblement monté. Dans ce contexte, Moscou cherche à établir des relations avec l’opposition biélorusse. Le monde à l’envers.

Inversons les rôles

Avec ses conflits bipartites, se télescope un jeu politique entre Bruxelles et Moscou, où les rôles se sont inversés. Certains leaders européens soutiennent Loukachenko, du bout des lèvres - en se gardant bien de médiatiser cet appui. Qui aurait parié un tel schéma, il y a encore un an ? Preuve que la politique est loin d’être une science exacte. Mais il convient de nuancer cette approche, car l’Union européenne n’agit pas en bloc. En annonçant un soutien financier important à Minsk en cas d’élections propres, le ministre des Affaires étrangères polonais a-t-il agit unilatéralement, ou de concertation avec ses homologues de l’Union européenne ? Le cas de la Biélorussie au sein de l’UE semble débattu avec peu de conviction. Du bout des lèvres.

Le rapprochement diplomatique entre l’Union européenne et la Biélorussie se fait petit à petit. Déjà, il y a un an, le Conseil de l’Europe ouvrait un bureau à Minsk, après douze années de rupture. Le 23 juin 2010, l’Assemblée parlementaire s’était même engagée à redonner, sous condition, le statut d’invité spécial aux parlementaires biélorusses lors des sessions plénières de Strasbourg. Une avancée considérable, mais dont Loukachenko fixe les limites : il n’est pas question d’intégrer le Conseil de l’Europe. Ce que reproche Anatoli Lebedko, membre de l’opposition et présent à l’Assemblée. « Cela permettrait à la société civile biélorusse d’avoir accès à un système judiciaire indépendant (la Cour européenne des droits de l’homme) », regrette-t-il.

La Biélorussie n’a plus grand chose à attendre de Moscou, qui la finance pourtant depuis longtemps. Ses crédits expirent, et le bilan de l’activité de l’Union douanière sera prochainement établi. Peu après les élections, et avant que « l’on se rende compte, analyse le directeur adjoint de l’Institut des pays de la CEI, Vladimir Jarikhine pour RIA Novsoti, que 95,3% des versements douaniers reçus par Minsk devront être versés à Moscou et à Astana [Kazakhstan] » Minsk tente donc le rapprochement avec l’Union européenne, afin, notamment, de combler sa dette russe. Si elle ouvre peu à peu son marché, le régime politique, lui, est toujours sous vide : arbitraire de la justice, disparitions d’opposants, manifestants molestés et emprisonnés, absence de pluralisme dans des médias sous contrôle, peine de mort encore appliquée...

Les élections présidentielles en Biélorussie auront lieu le 19 décembre. Les principaux adversaires de Loukachenko seront Andreï Sannikov de Biélorussie européenne, le poète et écrivain Vladimir Neklyaev, représentant du parti Dites la vérité, et le vice-président du Parti Civil Uni, Yaroslav Romanchouk. C’est sans trop prendre de risque, que l’on peut déjà envisager la réélection du Président biélorusse actuel. Avec, à nouveau, des accusations de fraude possibles. Qu’il rejettera, et qu’il rejette d’ors et déjà. Au delà d’élections écrites par avance, c’est le jeu de certains pays membres de l’UE - engageant donc Bruxelles, qui surprend. L’Union européenne, aurait-elle la mémoire courte ? Elle qui, pendant une dizaine d’années exhortait Moscou de faire pression sur le régime autoritaire de Loukachenko, la voilà devenue soudainement plus affable, ou timide, à son égard, relâchant ses efforts. A croire que ses récentes frictions de la Biélorussie avec son voisin lui redonne du crédit. Aux dernières nouvelles, « la dernière dictature d’Europe » serait devenue présentable.

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[1www.liberty-belarus.info / Organisation non-gouvernementale, qui se revendique comme une plate forme « communautaire, non partisane, qui regroupe des économistes, des analystes, des philosophes et représentants d’autres professions.  » (source, http://liberty-belarus.info/Кто-мы.html)

[2cité sur Voix de la Russie, french.ruvr.ru/2010/10/05/24188269.html


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